Sophie Loizeau

Sophie Loizeau ©Phil Journe

Sophie Loizeau naît et vit à Versailles, ville de rois et, dit-on de gens réservés, conformistes et bien élevés.

Le premier recueil qu’elle publie aux éditions du Dé Bleu en 2001 Le corps saisonnier, n’est pourtant ni conforme, ni réservé, ni bien élevé. Il y est question de sexe, beaucoup, d’un rapport très physique au monde, à la terre.

« j’écris à partir de mon corps, avec mon corps, depuis mon corps féminin. Je ne connais que cette expérience-là. J’écris sur moi, sur l’autre qui est un homme, sur les femmes. Mon écriture est sexuée dans la mesure où j’évoque mon corps de femme, ses réjouissances. »

C’est une femme sauvage, nue, qui s’affirme, se revendique, reconnaissant tous ses désirs, qui se dessine dans les deux recueils qui suivent et paraissent en 2004 et 2005 : La Nue-bête, et Environs du bouc (éditons Comp’Act).

Comme il est commode et rapide de catégoriser le créateur/ la créatrice, on a tôt fait de ranger l’œuvre de Sophie Loizeau dans le champ de l’érotisme, et c’est tout. Ce qu’elle réfute. Cette première trilogie est un chant amoureux, une poésie du corps émerveillé, une poésie de femme qui s’éveille à la nature et à la langue, préfigurant les textes à venir.

La nature est omniprésente dès ces premiers textes, bruissante, secouée de pulsations et de pulsions, désirante, sexuée. Dans Caudal je lis « génitalité des arbres à chatons et à glands ». Cette nature très vivante emprunte souvent au fantastique, au mythologique. Elle est peuplée d’un bestiaire étrange qui renvoie aux temps très anciens.

En 2009, Sophie Loizeau se penche sur Diane, ou Artemis la chasseresse. Le long de trois livres, une nouvelle trilogie donc, elle interroge cette figure mythique, en quête de sa liberté, en route vers sa lumière (à la fin du troisième volume, elle invente sa propre lumière). Elle fait de cette déesse l’allégorie de toutes les femmes. Toutes sont des petites dianes sans majuscule.

Mais ce qui marque surtout au début de cette nouvelle aventure, dès La femme lit, publiée en 2009, c’est la quête d’une langue qui ne serait plus contaminée, soumise au « grand tout masculin ». Elle essaie : « elle neige/elle y a/elle faut que j’aille. » Elle refait la grammaire, la syntaxe, les accords, autant dire qu’elle refait le monde. Enfin elle essaie.« nous/vous/ils le masculin pluriel a submergé./elles s’aiment encore pourtant. Comment signifier que elles comprend il qu’on subodore la présence de elle dans ils//rien ne prouve qu’elle s’agisse d’une femme et d’un homme- le contexte bien sûr.//et la coutume ». Ainsi « dans ils avaient pris à travers champ même le chien l’emporte sur la femme ensemble à se promener », ce ne sera plus possible. Ce n’est après tout que le retour à la vieille règle neuve que réclamait Vaugelas au XVIIè siècle. Caudal réinvente la langue « Diane décidea d’inventer sa propre lumière/ au fond si intensément qu’elle émanea d’elle une aura »

Parce que la poésie, ça se regarde aussi, les poèmes de Sophie Loizeau sont beaux tels qu’ils ont agencés, proposés, disposés sur la page. Elle connait la science des enjambements, des virgules et des blancs. Et Caudal est écrit une page sur deux : une page pour le poème, une page en regard, la dite belle page, pour le silence. Les poèmes, dit-elle, sont ouverts ; on peut s’y promener comme on veut, il n’y a pas de pagination.

Et parce que la poésie, ça s’écoute aussi, le recueil paru cette année chez Champ Vallon, Ma maîtresse forme, propose le poème écrit et le poème dit, c’est-à-dire dans sa version phonétique. Elle poursuit ainsi un travail exigeant de musicienne du texte, d’inventeuse de langue. Non sans humour, elle nous dit de son texte : « Cette partition est faite à ma bouche, me lire – même à voix basse, même dans sa tête – c’est accepter de mettre sa bouche dans ma bouche. »

Dans la vie, dit-elle, je suis une actrice, c’est-à-dire, quelqu’un qui agit. C’est ce que nous aimons et entendons dans sa poésie, une poésie agissante. La poésie peut tout dire, peut tout endosser. Partant de cela, aucun thème ne saurait l’indifférer ou l’effrayer, pas plus qu’elle ne saurait en privilégier. Tout l’intéresse.

Cet intérêt multiple est également perceptible dans les lectures variées qui la nourrissent et accompagnent son œuvre. Tous les poètes ne lisent pas beaucoup et j’aime le grand et large éventail de ses lectures. Je ne veux ici retenir que sa proximité avec Pascal Quignard et, plus inattendue, sa fraternité avec le très oublié Henri Bosco.

En mars 2017 est paru La chambre sous le saule une longue prose magnifique, ou plutôt dit-elle une « poésifiction », presqu’une histoire dont une petite fille serait un peu l’héroïne, avec ses mots à elle, ses questions sur la vie, la nature et la mort. C’est à sa propre fille que le livre est dédié. Curieusement, ou pas, le motif du titre apparaissait déjà dans le premier recueil de Sophie Loizeau Le corps saisonnier. On pouvait lire « Voici la chambre/La pièce d’eau du saule/ J’entre en saison.//***// Tant il reste à savoir sous le saule/D’espaces fléchis/D’intentions d’être/Pour soi seule. » Seize ans plus tard, c’est toujours sous le couvert d’un arbre en pleurs, que Sophie Loizeau recherche ce « don d’instase », un accord fugace mais total entre soi et le monde.

Alain Girard-Daudon, 2017

 

Lire l’interview de l’auteure menée par les lycéens dans Les Entrevues.

Lire les notes de lecture sur les ouvrages de Sophie Loizeau dans La Gazette des lycéens

Extrait de la lecture de Sophie Loizeau au lieu unique lors de MidiMinuitPoésie #17, samedi 25 novembre 2017 à Nantes.

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