Patrice LUCHET

Patrice Luchet, poète et enseignant, écrit ses textes en les pensant pour la lecture à voix haute. Il travail le sens et le son – même proportion. Il n’a pas peur, bien au contraire, de mettre un peu le BoXoN dans la langue, et de se servir avec délectations des répétitions, des boucles, des allitérations, des assonances, des répétitions, des répétitions, des boucles, des répétitions, pour construire des modules concis et indépendants qui forment au final une constellation de portraits en creux.

Souvent portraits d’adolescents et adolescentes – mais pas que.

C’est le cas dans : Déclaré M.I.E (parut aux éditions Moires en 2019 et dédicacé à ses ami.e.s, Julien d’Abrigon et Carole Lataste).

Recueil qui évoque, en fiction, un groupe d’adolescents et adolescentes déclaré M.I.E, – mais pas que.

Fiction faisant réceptacle et échos à de nombreuses réalités.

Recueil, dont la double exergue nous éclaire sur la signification de ce sigle M.I.E :
Première exergue : « Un mineur isolé étranger (M.I.E) est un jeune de moins de 18 ans qui n’a pas la nationalité française et se trouve séparé de ses représentants légaux
sur le sol français. De sa minorité découle une incapacité juridique, et de l’absence de représentant légal, une situation d’isolement et un besoin de protections. »
in L’accueil et la prise en charge des mineurs isolés étrangers en France, L’essentiel, France Terre d’Asile, octobre 2017.

Seconde exergue : « Lors du comité de suivi du 7 mars 2016, le garde des Sceaux a souhaité modifier la dénomination de M.I.E en M.N.A pour être en adéquation avec la directive européenne, mettant ainsi l’accent sur la protection de l’enfance avant toute chose. »
in F.A.Q mineur non accompagnés, www.justice.gouv.fr

C’est bien connu, pour effacer les problèmes et la réalité des individus, il suffit, l’air de rien, d’en changer l’appellation en sigles ou acronymes. C’est tellement plus P.O.P – ou pop… J’dis ça, j’dis rien…

Dans sa très belle note introductive de Déclarés M.I.E, Patrice Luchet nous précise la signification du nouveau terme M.N.A, remplaçant l’ancien M.I.E (Mineur Isolé Étranger – pour rappel).

Il s’agit de : Mineur Non Accompagné.

M.N.A.

C’est simple comme bonjour – en fait.

Et Patrice Luchet, en conclusion de sa note introductive : […] mais avant tout, ce sont des adolescents accueillis. C’est un peu leur histoire, des histoires de bienvenue aussi.

C’est avec ce geste de bienvenue, que je vous propose d’accueillir Patrice Luchet, accompagné par le musicien, touche à tout et inclassable, et comparse à l’occasion de MidiMinuit, Rubin Steiner.

Bienvenue à eux.

Yves Arcaix, octobre 2021

 

Voir un extrait de sa lecture-concert avec Rubin Steiner du jeudi 14 octobre 2021 lors du festival MidiMinuitPoésie#21

Lire la Gazette 2021 écrite par les élèves du lycée Louis-Jacques Goussier (Rezé).

Lire l’interview de Patrice Luchet par des élèves de 1er du lycée Nicolas Appert (Orvault).

En poésie faire peuple

De Patrice Luchet, poète déclaré (et déclarant), on connaît de longue date les actions boXoniques (en compagnie des individus D’Abrigeon, Weiter, Cabut… au sein de la revue et du collectif du même nom), et dans ce contexte-là, une habileté remarquable à produire du parlé, lors de publications orales : improvisant seul en scène des récits automatiquement fictionnels, ou auto-investi chef de chœur de jeux exclamatifs (formes dont on peut trouver traces sur le site web anthologique tapin2).

Et puis il y a eu, en 2015 et 2017, deux livres ; deux livres autonomes – au sens où ils ne sont pas les participations ou retranscriptions d’œuvres sonores, mais peuvent aussi s’envisager dans le plein silence d’une lecture solitaire, et laisser place à ce que les lecteurs/trices peuvent en faire, à ce qui peut en sortir d’autre, d’imprévu (adhérences ou fictions, fugues ou représentations).

Le Sort du parasol, chez Série discrète, est un texte extrêmement élaboré d’un point de vue formel. Il s’agit, je le cite « d’un ensemble d’heures et de minutes, comme des minutes de procès mais là, il s’agirait de minutes de la vie ordinaire d’une station balnéaire. S’y croisent deux formes fixes : le sonnet et la nouvelle à chute, pour essayer de les tordre un peu. D’ailleurs, tout est un peu tronqué, puisqu’une heure manque et une autre se répète, un indice géographique est impossible, une rime ne fonctionne pas.
Tous les sonnets ne fonctionnent pas sur la même organisation ». Distorsions de l’intérieur d’une forme contraignante, que viennent compliquer des mots tirés au sort. Au résultat, un texte qui tient à la fois du dispositif, visible ; et d’où se hisse du vivant, du récit, de l’ordinaire mis au jour, et ainsi fredonné (la répétition des horaires offrant au texte un aspect « ritournelle ») ; du quotidien, des gens, observés au plus près, mis à jour par l’effet zoom, ou pause, de la méticulosité formelle.

funky collège avance d’une case l’entreprise de production d’effet de réel : les minutes, ici, non chiffrées, sont celles des journées de vie de collégiens. Ils et elles sont un chœur – encore –, chœur qui nous chante les bousculades dans les couloirs comme les brimades, des plus anodines aux plus violentes, qui nous donne du sourire et du drame, avec une métronomique attention. Le dispositif poétique, vers libres et courts offrant large part à la répétition (des prénoms, comme des actions), accentue encore cet effet de focale, pose du rythme aussi, de l’entraînement : le texte se lit ainsi inexorablement, que l’issue en soit tragique, triste, douloureuse, souriante, il est une efficace machinerie mise au service de son objet (de ses sujets) : à savoir, faire société. Sans démagogie, mais pas sans amour. Oui, Patrice Luchet, poète parlant en toutes façons (criant, sussurant, minutant, orchestrant, trépignant, toujours : parlant), fait peuple. Et ce peuple se fait nôtre. Étonnante, rigoureuse, et tellement juste, alchimie créatrice.

Guénaël Boutouillet, 2017

 

Extrait de la lecture de Patrice Luchet, le 5 octobre 2017 au lieu unique :

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