Simon JOHANNIN

Afin de vous présenter l’œuvre de Simon Johannin, j’ai choisi, pour commencer, de le citer, tant j’ai repéré dans les différentes interviews qu’il a pu donner des formulations que j’aurais bien aimé trouver tout seul mais qui éclairent à mon sens diablement bien ses écrits, poèmes ou romans : En bref il s’exprime aussi bien par la parole que par l’écrit.

Je cite : « J’aime écrire des phrases simples dans lesquelles chaque mot est à sa place. Je considère que si ça marche avec des mots simples, il n’y a aucune raison d’en employer d’autres. C’est un refus de l’élitisme, une question d’honnêteté, et une manière de regarder la réalité en face. Quant à aller du poème au roman, c’est plutôt le chemin inverse que je fais, tout enlever du roman pour arriver au poème. »

Et dans l’œuvre publiée de Simon Johannin, tout a effectivement commencé par un roman L’Été des charognes, paru en 2017 chez Allia, un texte noir, brut, violent, trash, sauvage. Et saisissant par son écriture à la fois, dure, râpeuse mais au fil du roman de plus en plus elliptique, de plus en plus poétique.

Le récit commence à la campagne, à La Fourrière « un bout de goudron qui finit en patte d’oie pleine de boue dans la forêt et meurt un peu plus loin après les premiers arbres ». Le décor est planté !

Dans ce pays de nulle part où subsistent une poignée de maison, les enfants, livrés à eux-mêmes, collectionnent des os chipés au cimetière, jouent au jeu de l’Arabe, squattent chez Didi la seule voisine qui a la télé, martyrisent les animaux ou ramènent à la maison – en première et debout derrière le volant – leurs parents trop bourrés pour conduire. On est plongé au cœur d’une atmosphère glauque, violente, brumeuse. On a les pieds dans la merde ou la boue, ou les deux à la fois. Et grâce à l’écriture, on pourrait presque sentir les odeurs de charognes ou celles des fumées grasses des usines de croquettes pour chiens plus bas dans la vallée. Car si les enfants grandissent dans ce décor, devenus adolescents, ils quittent la campagne pour le collège et la ville où ils vont se heurter à un autre monde, celui des ados citadins reconnaissables à leur Nike, celui des bagarres, pour humilier l’autre, pour des filles, pour rien, celui de l’alcool, de la drogue, de la défonce qui à l’orée de l’âge adulte pourrait les démolir.

C’est cette jeunesse citadine, qu’on retrouve dans le deuxième roman, Nino dans la nuit, écrit à quatre mains avec Capucine, sa femme, et publié en 2019, toujours chez Allia. D’autres ambiances cette fois, celles de la ville et de ses galères, ses inégalités, ses humiliations, ses petits boulots où les petits chefs sont des petits rois, ses débrouilles, ses trafics qui contrastent avec les moments de fête, explosifs, où les protagonistes s’oublient dans le vacarme des boîtes de nuit, une pastille colorée sur chaque langue avant de finir, corps contre corps, frôlement aussi bien que collision, dans les draps froissés d’un taudis officieusement loué à un marchand de sommeil.

L’écriture est de plus en plus épileptique, la composition cinématographique. La ville où « la grisaille arrose tout le monde autour » contamine les corps et l’écriture devient par flashes, un festival d’images : « Il a des morceaux de ciel de décembre qui lui tombent sur les joues et la lumière tremble contre le noir de sa peau. » La poésie est là intimement présente au cœur de ce deuxième roman.

Il reste ensuite si l’on en croit Simon, à « enlever tout ce qui n’est pas nécessaire pour arriver au poème ». À ne conserver que l’essentiel sans pour autant perdre de sens.

C’est l’objet d’un premier recueil de poèmes Nous sommes maintenant nos êtres chers (Allia, 2020). Nous y retrouvons, griffonnés sporadiquement sur une période de presque dix années, l’univers développé dans les précédents romans. La jeunesse y est précaire mais combative, travaille mais vit la nuit où elle se défonce, picole et poétise. Mais cette fois c’est, comme prévu donc, avec une infinie concision que le poète donne à voir ce monde de la nuit et ses habitués. Les vers sont libres, courts, sans ponctuation inutile et taillés pour surprendre. Histoires courtes, bribes de sensations, déflagrations, le recueil impressionne par sa violence nue et ses instantanés sensibles qui nous parlent de la fin d’un âge, la sortie de l’adolescence et de « morsures heureuses rendues dans la douceur ».

Présentation de Alain Anglaret, mars 2022

 

Extrait de la soirée de Poèmes en cavale du 16 mars 2022 au lieu unique

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