Pierre VINCLAIR

© Axel

Pierre VINCLAIR est né à Aurillac en 1982, études secondaires à Nantes, puis normalien, agrégé de philosophie, docteur, mène des recherches en philosophie de la littérature. Pierre Vinclair est de cette famille, sommes toutes assez fournies de philosophes poètes, et/ou l’inverse.

Barbares ressemble à un récit, un texte narratif, mais ressemble seulement. Il y est question de Popée, et ce nom fait plus qu’évoquer un genre littéraire, comme si le désir de Pierre Vinclair était d’aller vers une poésie épique moderne. Soucieux d’échapper aux catégories, il dit « Je cherche à tirer le roman vers la poésie, et la poésie vers le roman, refaire pour maintenant avec mes petits moyens, la synthèse qu’a été l’épopée avant la dislocation du chant et du narratif. » Barbares peut être lu comme une tentative de retrouver un chant originel, une parole naissante dans un paysage chaotique, non civilisé, ou d’avant catastrophe. Catastrophes, c’est justement le nom de la revue qu’il dirige. Pierre Vinclair aime les ailleurs, les textes très anciens, les écrits fondateurs qu’on se réapproprie pour dire quelque chose sur le réel aujourd’hui. Il a vécu et enseigné à Singapour, après six années passées à Shanghai. Il peut là, laisser libre cours à son attirance pour les cultures d’Extrême-Orient. Lauréat en 2010 de la Villa Kujoyama à Kyoto, il écrit l’histoire de l’empereur Hon-Seki, qui ressemble à un conte ancien qui parle de notre aujourd’hui. Il y entreprend aussi sa traduction du Kojiki, ou chronique des faits anciens, considéré comme le premier texte littéraire japonais. Le Kojiki est un ensemble de chants, de mythes, de légendes qui raconte la naissance d’un monde, d’une pensée.

Les gestes impossibles est un très curieux ensemble de textes sur les bouleversements du monde. Ce sont des poèmes confrontés au grand spectacle violent de l’Histoire. Parmi tous ces moments convulsifs et chaotiques, il en est un emblématique au cœur du recueil : la commune de Paris et sa fin sanglante. S’affirme ici une écriture novatrice, exigeante, lignes discontinues, vers libres, très libres, troués de blancs, mots dansant sur la page. S’affirme aussi le choix de thèmes ambitieux. Ni l’aujourd’hui, ni l’ici ne suffisent, il faut l’ailleurs et les vertiges de l’Histoire pour nourrir le poème.

Le cours des choses – qu’on pourrait appeler une expérience poétique de Shanghai, et plus encore de la Chine, de son histoire tumultueuse, de son génie propre – est une oeuvre totale, bouillonnante, effervescente comme l’est ce pays aujourd’hui avec ses contrastes et contradictions, son communisme fièrement affiché et son économie sauvagement libérale, ses industries polluantes etc. Et l’on se dit que seul le poème peut rendre compte d’un tel tourbillon. L’écriture est ample, les vers longs s’interrompent pour laisser passer des silences, une énergie puissante parcourt ce texte qui se souvient des chants de la Chine ancienne autant que des Cantos d’Ezra Pound, ou des poèmes de William Carlos Williams. La diversité, la variété des formes en atteste. Sans adresse offre 77 sonnets à l’inspiration intimiste sous une forme en apparence classique. En apparence seulement car on s’aperçoit vite que la tradition est quelque peu malmenée. Pierre est plutôt iconoclaste. Comme l’enfant qui brise ses jouets, le jeune poète joue avec les formes, puis les déforme.

Alain GIRARD-DAUDON

Le Cours des choses, lecture au lieu Unique, le mercredi 27 Février 2019.

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