Pascale PETIT

Pascale Petit ©Guillaume Kerhervé

Pascale Petit a publié une vingtaine de livres, chez des éditeurs de poésie (a priori destinées aux adultes) mais aussi à l’École des loisirs (et donc a priori destinées aux enfants), ces derniers livres s’inspirant particulièrement de l’Oulipo.

Se retrouver devant les livres de Pascale Petit, c’est se retrouver devant un univers constructiviste, comme devant une boite de Lego : vous avez des pièces étalées devant vous, et qui s’emboîtent assez bien pour construire des maisons, des villages, des voitures ou des machines spatiales selon l’envie. Dans la plupart de ces jeux, les boites proposent deux modèles pour le même lot de pièces, une navette spatiale à assembler d’abord, par exemple, puis à démonter pour reconstruire une station lunaire. Tu es un Bombardier en piqué surdoué (le bleu du ciel, 2006) est un livre de Pascale Petit qui propose lui aussi deux modèles : d’abord une suite de poèmes en vers, où reviennent sans cesse les questions « Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fabriques ? – Un hibou ou un igloo ? », suivi d’un second modèle, avec les mêmes phrases qui composent maintenant une série d’autoportraits en prose, les aventures d’un JE qui s’invente avec les pièces qu’il réutilise : « Je suis un igloo dans la réalité, un chat d’eau d’eau glacé, un lapin fluo ».

Ceux qui ont déjà joué aux Lego (ou y jouent encore) savent bien que ça a beau être un jeu de construction, c’est surtout un jeu d’étalement en perpétuelle construction. La chambre ou le cabinet de l’amateur ressemble souvent à un champ d’obstacles semé de d’agrégats divers où l’amateur semble bien fabriquer quelque chose, mais qui reste assez nébuleux. Le personnage du Roi, dans Manière d’entrer dans un cercle et d’en sortir (Le seuil, 2007) est ce genre de despote qui passe son existence à construire une énigmatique machinerie de théâtre ou de space-opéra, en plus d’améliorer son tricycle et la combinaison qu’il destine à la Reine, son épouse. Les inventions du Roi traduisent ses rêves, lesquels, confondus avec son territoire deviennent des enjeux de pouvoirs. La Reine et son coiffeur se retrouvent pris dans le rêve du monarque : « aujourd’hui est le jour où le Roi a décidé d’inventer ce qui existe déjà : la règle, l’équerre, la roue, moi ».

Mais tôt ou tard, tout amateur de jeu de construction doit tenter de sortir de cet espace encombré qui lui servait de monde, « Je me fais des amis dans la réalité », au risque de se retrouver lui-même pris dans les rêves des autres. Il se retrouvera mécaniquement devant un recruteur, un formateur en entreprise ou un psychologue motricien qui lui tendra une boîte de Lego afin d’observer son comportement et d’évaluer ses réactions, pour le conformer finalement au modèle prévu sur la boîte. Ainsi, peut-on lire dans Le Parfum du jour est Fraise (éditions de l’attente, 2015), « Vous allez avoir à construire un village, pour construire le village vous allez avoir un certain nombre de choses à respecter et de consignes à suivre […] car nous avons besoin de savoir quels processus ont présidé à la création de votre village et de mesurer votre intentionnalité. » Ici, il n’y a certes plus de modèle, mais vous n’avez pourtant pas intérêt à vous en écarter – recette du totalitarisme pervers. Ce qui était la matière de vos rêves s’est retourné pour devenir la matière d’un rêve général dans lequel vous êtes pris, et qui vous avale.

Aussi bien dans leurs aspects formels (passages du vers à la prose) que dans leurs thématiques (espaces ou rêves à construire) les livres de Pascale Petit mettent donc en jeu certaines questions intimement liés à la poésie. Le mot poésie revoie en effet au grec ποίησις (poíêsis), qui signifie « faire », « fabriquer quelque chose ». La question « que faire ? » n’est jamais anodine dans un poème, pas plus que les questions disséminées dans les livres de Pascale Petit : « Qu’est-ce que tu fais ? » « Qu’est-ce que tu construis ? » « Qu’est-ce que tu fabriques, un igloo ou un hibou ? »

Frédéric Laé

 

Extrait de sa lecture lors du festival MidiMinuitPoésie #19.

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