Élisabeth JACQUET

Élisabeth Jacquet © Chama Chereau

Les choses de la vie pourrait être le titre de l’œuvre en cours d’Elisabeth Jacquet. Les choses de la vie à cause du cinéma, de l’image. Les choses à cause des objets. La vie à cause de ce qui s’exprime dans ses livres, la vie. Nos vies.

Il y a donc dans le travail d’Elisabeth Jacquet, un jeu avec les images de la télé, du cinéma, des magazines, de la publicité, elle qui a été scénariste de télévision et rédactrice publicitaire. D’ailleurs elle publiera chez L’Attente, en 2006, Le supplément télévision qui avec force énumérations, répétitions, interroge le quotidien, le rapport à la télé, jusqu’à l’absurde, la banalité mais, « Le sujet abordé me signale que la banalité de la plus banale existence contient aussi sa part de déchirement, ou de merveilleux »

Elisabeth Jacquet a publié une douzaine d’ouvrages. D’abord des romans, le premier en 1984, chez Stock, Les contretemps. D’autres suivront, mais en 1996, elle publie chez CompAct’, Avec nous on sera vingt-sept. Ce texte ouvrira la voie à moult explorations de la fiction, du roman, sous d’autres formes, séquentielles, polyphoniques, éclatées, dialoguées. On lit ici ou là ses interrogations quant à la place et la pertinence du roman dans un monde saturé de récits : séries, réseaux sociaux où chacun, chacune se réinvente, s’écrit, se met en scène, rassasiant notre besoin de récit jusqu’à l’overdose. Dès lors comment écrire de la fiction selon Elisabeth Jacquet ? Catalogues, inventaires, collages d’informations, souvenirs, comme dans Quand j’étais petite (L’Attente, 2012), clin d’œil au Je me souviens de Georges Perec. Proximité aussi avec le Perec de la Vie mode d’emploi, roman pluriel, puzzle, au réalisme descriptif, dont Dans ma maison (Léo Scheer, 2003) pourrait être l’écho. Qu’est-ce qu’habiter un lieu ? Quelles relations entre les êtres et les choses ? Ou cette tentative d’épuisement par la description d’un sujet/objet avec Mon mari et moi (Serge Safran éditeur, 2017), qui revisite le concept de mari, le couple, par le langage, les objets, le quotidien, jouant sur la mémoire personnelle résonnant avec celle, collective.

Certains des textes d’Elisabeth Jacquet ont été adaptés en fictions radiophoniques, et l’on ne s’en étonne pas, tant il y a de rythme, d’oralité, de voix. Par ces formes éclatées elle donne une place de choix au lecteur : à lui d’assembler, d’être totalement acteur de sa lecture.

On a le sentiment qu’elle veut tout embrasser en un seul plan cinématographique, mais avec le langage : les pensées, les descriptions, la place de l’auteur, les objets, les personnages, l’intériorité et l’extériorité. Et c’est dans Avec nous on sera vingt-sept, réédité en 2019, chez l’Attente, qu’elle pousse loin cette forme polyphonique où s’entremêlent, se superposent, des propos banals et profonds, des flux de pensées. Comme un trop-plein, un brouhaha, une tentative de tout capter par les mots comme le ferait une caméra. Pour s’approcher de nos vies, dans ce qu’elles peuvent avoir d’insignifiant, de superficiel, d’absurde et en même temps traversée de désarroi, de solitude, d’interrogations perpétuelles sur soi.

Une grande finesse d’observation. Et beaucoup d’humour. Et tout autant dans Le retour des semelles compensées également réédité à la suite d’Avec nous. Deux textes réédités ensemble, et qui ont en commun des questions autour du couple, de la condition des femmes. Le retour est composé d’une vingtaine de romances, des portraits tout en ironie, de femmes de toutes conditions. Être mère, être femme, être épouse, égratignant les représentations des femmes, le conditionnement, ce qu’on appelle aujourd’hui « la charge mentale » des femmes au quotidien.

Fiction, autofiction, roman, poésie, réalisme : Elisabeth Jacquet se joue des genres et des formes, comme l’indiquerait malicieusement une phrase extraite du Retour,

« ça fait tellement vrai on dirait que c’est inventé »

Sophie G. Lucas

Grande Rencontre le dimanche 8 mars 2020 dans le cadre du festival Atlantide 2020 à Nantes avec Christelle Capo-Chichi

Extrait de sa lecture le mercredi 11 mars 2020 au lieu unique

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