Katerina ILIOPOULOU (Grèce)

Katerina Iliopoulou ©Axel Vanlerberghe

Née en 1967, Katerina Iliopoulou vit à Athènes. Elle est l’auteure de quatre livres de poésie, des récits et essais. Elle a traduit Sylvia Plath, Walt Whitman, Mina Loy, Ted Hughes… Engagée pour la vivacité de la création poétique grecque, elle organise des évènements de poésie-performance, et anime la plateforme greekpoetrynow.com. Son écriture télescope plusieurs réalités afin d’approcher l’insaisissable, notamment entre le personnel et le collectif. Dans Le Livre de la terre (Desmos, 2019, traduit par Michaël Batalla) nous plongeons dans un univers de perception qui questionne l’identité et le mythe.

Relisant en français, un an après sa parution, Le livre de la terre, je m’amuse à me demander qui l’a écrit. Est-ce Katerina Iliopoulou ? À vrai dire, non. Elle, c’est la version originale grecque. Est-ce moi ? Pas vraiment non plus. En les traduisant, je n’ai créé ni les poèmes de ce livre, ni les pensées qu’ils contiennent. Si je m’interroge ainsi, c’est que j’ai le sentiment d’une expérience paroxystique de lecture dont je ne vois pas comment transmettre l’intensité. Je me contenterai donc de dire ce qu’elle m’a poussé à faire, à savoir aller chercher dans les archives du Cipm l’enregistrement de la rencontre, printemps 2019 à Marseille, durant laquelle en compagnie de Thomas Tsalapatis et de leur éditrice Clio Mavroeidakos, Katerina nous avait donné quelques précieuses explications. À propos de la traduction, voici ce qu’elle disait :

Le traducteur occupe simultanément deux places : celle de l’étranger qui erre dans un paysage relativement inconnu qui est l’autre langue et celle de l’hôte. Il est en effet celui qui accueille ce qui est étranger dans sa langue. Il est toujours dans un espace intermédiaire. Et s’il peut conserver cette inquiétude, cette précarité de l’intermédiaire, cette hésitation est importante pour la traduction.

Conserver l’inquiétude de la précarité de l’intermédiaire – on peut en faire, si ce n’est un principe d’existence, pour le moins une méthode de travail. Et je mesure à quel point nous étions Clio et moi, lors de nos discussions pour le choix d’un mot ou d’un parti-pris de syntaxe, dans la vérité du travail de la traduction… Si traduire Le livre de la terre a été pour moi un tel plaisir, c’est aussi en raison de la prégnance de son rapport à son site, cette « terre », sous les traits circonstanciels de la Grèce en tant qu’elle pourrait être le site par excellence. À propos de cette dimension topologique de sa poésie, Katerina nous dit :

Je réalise que le lieu est une chose centrale dans ma poésie et qu’il m’intéresse en tant qu’il peut porter le corps, la mémoire, le désir, l’histoire, le mythe. Et simultanément, le lieu est un temps. C’est le temps historique évidemment, qui s’inscrit, qui est visible dans le lieu ; c’est aussi le temps comme cycle de la vie. Et c’est enfin l’achronie, l’absence de temps du monde non organique. Dans ce livre, j’ai abordé ces questions selon trois directions. D’abord par le regard conçu comme un lien : le regard intérieur, le regard sur l’autre, le regard à travers l’objectif de la caméra ou de l’appareil photo, même le regard comme manière de se jeter soi-même dans le monde. Le deuxième élément, c’est le toucher. Le contact avec la matérialité du monde, ce qui arrive souvent dans le livre avec la marche. La marche est un contact. C’est comme si on touchait le lieu avec tout son corps. Et pour moi elle est déjà une forme de récit, très liée à l’écriture. Comme si chaque pas était un mot. Parce que quand on écrit on inscrit un parcours, une trajectoire qui n’éxistait pas avant. Et on doit trouver les mots pour créer ce lieu qui n’existe pas, et marcher dessus et avancer. La troisième approche du lieu qui existe dans le livre, c’est le mythe, l’imagination. Le mythe étant quelque chose de collectif, l’imagination c’est notre lien aux autres. Le mythe est une adresse et c’est la langue elle-même.

Dans la préface du Livre de la terre, je dis que l’expérience de traduction m’a donné le sentiment de m’approcher « au plus près de la planète d’un autre » ; relire aujourd’hui ce livre m’offre de retrouver une terre collective où se trouve l’inépuisable commencement de ce qui est nécessaire.

MICHAËL BATALLA

Extrait de sa lecture au lieu unique lors de la soirée du mercredi 3 avril 2019.

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