Tyler PENNOCK (Canada)

Tyler Pennock ©Axel Vanlerberghe

« I’ll speak / Of blood / and wounds » (« Je vais parler / De sang / et de blessures ») : les premières lignes de Bones, le premier recueil de Tyler Pennock que vient de publier Brick Books, maison d’édition torontoise de référence en matière de poésie, nous introduisent dans un univers pétri de violence et de fulgurance : à l’image de l’identité malmenée du poète, qui est un Cree-Métis originaire de Lesser Slave Lake en Alberta et a été adopté. Être autochtone, au Canada comme ailleurs, est synonyme d’abus, de brutalité, de souffrance. À l’heure où le pays entame un processus de réconciliation, de plus en plus de voix deviennent audibles, et plus particulièrement dans le milieu de la poésie (celles de Liz Howard, de Jordan Abel, de Billy-Ray Belcourt, par exemple). Le travail de Tyler Pennock s’inscrit dans cette lignée prometteuse, qui ne marque que le début d’un très long parcours de reconnaissance, de mesures fortes et de pardon. Ce qui frappe, chez l’auteur, est son style tout en retenue – d’une concision extrême, comme sur le point d’imploser, en fragile équilibre. Ses mots rares, lourds de sens, disent avec pudeur les blessures qui béent, les traumatismes qui courent d’une génération à l’autre. Il en va de même avec les lectures qu’en fait le poète, sans artifice aucun, brutes et douces à la fois, d’une poignante vulnérabilité. C’est ainsi que la poésie de Tyler Pennock nous atteint droit au coeur. Nous, les lecteur.rice.s et les auditeur. rice.s éloigné.e.s des réalités complexes de cet immense pays qu’est le Canada, sommes amené.e.s à nous questionner sur nos responsabilités, notre propre passé, notre éducation. Car nous nous apercevons dans un miroir, nous devenons le « they » (« ils ») : « but they forget / that we are bones – / resurrected from the bones of others » (« Mais ils oublient / que nous sommes des os – / ressuscités à partir des os des autres »).
L’empathie qui se dégage de Bones n’est sans doute pas éloignée de la profession de l’auteur, qui s’engage dans le champ du social depuis de nombreuses années et est également éducateur. C’est ce qui l’a conduit à Véronique Kanor, poète d’origine martiniquaise avec laquelle il a écrit lors d’une résidence littéraire à Winnipeg (Canada). Leur échange poétique présenté à la Maison de la Poésie de Nantes est le fruit d’une mise en commun pleine d’émotion et d’urgence autour des conséquences persistantes de la colonisation, de la perte de repères et de l’immense colère qui en découlent. Écoutons-les, écoutons ces corps trop longtemps oubliés, éphémères (« The body is a collection / of continuously dying cells » (« Le corps est un ensemble / de cellules continuellement à l’agonie ») et pourtant portant le poids de tout un monde.

Camille Cloarec

Extrait de sa lecture en compagnie de Véronique Kanor lors du jeudi 16 mai 2019.

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