Aldo QURESHI

Pour mémoire, ou la faire travailler – cette mémoire, ou la télé-travailler – cette mémoire, ou travailler à la télé grâce à une attestation justifiant ma présence ce soir, et par là même devenir certainement mémorable, grâce à la captation d’une haute prouesse technique – Merci aux équipes – qui vous permet d’être chez vous ce soir et aussi un peu en distanciel, à défaut de présentiel, pour découvrir en participatif, malgré une salle vide et malgré tout, cette soirée organisée, vaille que vaille, par La Maison de la Poésie de Nantes et en partenariat avec Le Lieu Unique, ce moment non-essentiel ou essentiel, mais surtout ce moment simplement viscéral et nécessaire, et possiblement partagé, hors jargon culturel ambiant et à la mord-moi le nœud, avec Aldo Qureshi et Guillaume Carreau. Je vous y souhaite la bienvenue !

Pour mémoire, Aldo Qureshi a publié, à ce jour, 3 ouvrages poétiques. En 2018, Barnabas aux éditions Vanloo et Made in Eden aux éditions de l’Atelier de l’agneau, et en 2019, toujours à l’Atelier de l’agneau, La nuit de la graisse. Ces 3 livres, ont ceci en commun qu’ils sont composés d’un assemblage de textes courts aux titres pertinents. Assemblage de textes, à première vue très hétéroclite ou hétérogène. Mais j’y reviendrai.

La plupart de ces textes courts ne se déploient que sur une seule page. Ou deux pages – au grand max. Mais toujours avec l’impression, dans cette brièveté, qu’ils n’ont pas été écrit à la douceur de la plume, ni même au cliquetage d’un clavier azerty, mais plutôt avec un sorte de scalpel – finement aiguisé – et toujours de façon cinglante et parfois perturbante. Mais aussi et surtout, de façon rieuse dans les multiples coins et recoins de la marge.

Des textes courts et fulgurants, qui m’ont fait penser à une sorte de dispositif proche de cette machine infernale et extraordinairement sophistiquée techniquement et à la pointe technologique – et tout en pointes. Cette machine, écrivant et tatouant, lentement mais surement – et jusqu’à la mort – dans la chair – de potentiels coupables – ou d’un lecteur – les mots le condamnant. Cette machine scarifiant la sentence actée et rendant sa justice implacable. Cette machine imaginée par Franz Kafka dans sa nouvelle La Colonie pénitentiaire.

Des textes courts et révélateurs – au sens photographique – qui au fil de la lecture, finissent par créer une sorte d’instantané – au sens photographique – ou de rapides Polaroïds – T.Q – T.Chchchch. T.Q – pour in fine nous proposer et offrir par petites touches, impressions sensorielles et photo-sensibles, à travers cet assemblage ou montage cinématique, un tout, très cohérent et très affuté.

Allez savoir pourquoi, il m’est aussi venu à lecture de ces textes, des souvenirs lointains du film Blow-Up d’Antonioni (d’après la nouvelle de Julio Cortázar – Les fils de la Vierge), où Thomas, le photographe, dans sa chambre noire, développe ces nombreux clichés pris au Maryon Park de Londres. Clichés qu’il passe dans de nombreux bains révélateurs, pour finir par découvrir qu’il y a un pistolet caché dans le paysage et dans le détail du buisson. Découvrant, par là même, que la mort rôde et n’est jamais très loin. Mais qui n’empêche pas au final de jouer ou plutôt mimer une partie de tennis des plus loufoque avec en mémoire un morceau d’Herbie Hancock.

Pour finir encore, sur cette première dimension textuelle de ces 3 ouvrages d’Aldo Qureshi, j’oserai ici m’avancer et déclamer, que l’ensemble de ces textes courts – instantanés de vies -, finissent, – à la lecture intime – par construire et élaborer une sorte de carte, de constellation, de tableau ou de puzzle d’une humanité terriblement sensible, amplifiée et à vif. Mais dévoilant, aussi, que l’humour n’est jamais très loin, et par là même, qu’il peut être débusqué pour notre plus grand plaisir et rire salutaire.

Avec ce triptyque, Aldo Qureshi, en osant pousser les curseurs du réel et mettre les potars à full, nous dépeint et re-dessine, un monde fragmenté qui n’est pas très loin du nôtre, de monde, et dans son quotidien. Mais en pire – du moins encore à ce jour.

Nous rappelant que tout cela se télescope et donne corps en nous à la vie qui palpite, mais aussi nous rappelle que le cauchemar de celle-ci n’est jamais très loin. Et c’est très saisissant, glaçant, mais aussi délectable, amusant et plein de promesses à venir pour en jouir – enfin – de la vie.

Pour continuer, ‘’il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer’’, il y a une deuxième dimension au travail du poète-écrivain Aldo Qureshi qui est celle du poète-performer Aldo Qureshi.

En effet, dans toute sa particularité, Aldo Qureshi ne lit pas ses textes, mais après mémorisation, par cœur et surtout par corps, nous les dit et interprète, nous les parle, nous les offre et nous les raconte, avec parfois l’impression qu’il les découvre en même tant que nous, lui donnant un petit air étonné et décalé, questionnant ces histoires déjantées qu’il met en mouvement et action, avec une gestuelle – des mains, particulièrement – d’une précision folle, développant une chorégraphie, minimaliste, accentuant d’autant plus, l’étrangeté du récit et lui donnant toute sa dimension fantastique ou presque irréelle, et surtout toujours au final, poétique.

Comme si un Buster Keaton, mais dégingandé et doté de la parole, nous témoignait, un peu éberlué, de la difficulté d’être au monde, dans tout son réel monstrueux.

Pour accompagner, ce soir, Aldo Qureshi, le dessinateur Guillaume Carreau, habitué aux performances dessinées et en compagnie de poètes, en parallèle de son travail d’auteur de bande dessinée, laissera libre court, en échos, à son trait et à ses montages visuellement détonants et surprenants.

Pour conclure enfin cette présentation et ce texte, je vous invite à découvrir, en compagnie d’Aldo Qureshi et Guillaume Carreau, une Twilight Zone, où la poésie, n’est jamais très loin, dans le coin d’un buisson ou de la marge, y résidant, y résistant, y restant toujours vivace et vivifiante. – Toujours active -.

Yves Arcaix, 2021

Lecture dessinée avec Guillaume Carreau le mercredi 17 février 2021 à 19h au lieu unique
En partenariat avec Maison Fumetti

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