Koleka PUTUMA (Afrique du Sud)

Koleka Putuma est une poétesse, dramaturge et performer sud-africaine. Son travail artistique est salué très tôt, elle remporte une compétition nationale de slam à 19 ans en 2014, en 2016 son poème « Water » reçoit le PEN South Africa Student Writing Prize. Le recueil de poésie Collective Amnesia, publié en 2017, est un succès d’édition en Afrique du Sud et dans le monde. Son travail pour la scène théâtrale est également salué par la critique. Sa pièce No Easter Sunday for Queers, issu du poème du même nom, donne à voir la situation des lesbiennes en Afrique du Sud.

En 2022, Amnésie Collective est traduit par Pierre-Marie Finkelstein aux éditions Lanskine. Ce recueil, constitué de 3 parties Mémoire héritée, Mémoire ensevelie et Post mémoire, explore sous des points de vue intime et collectif, personnel et politique, la situation de l’autrice : celle d’une femme noire lesbienne d’un milieu populaire ayant grandi dans un pays colonial nommé Afrique du Sud. Sa poésie montre ce que cette situation à l’intersection de tant de dominations implique comme mémoire active mais également comme mémoire refoulée.

Le mot « collective » dans le titre du recueil est important. Koleka Putuma n’est pas une génie solitaire, son travail renvoie toujours au collectif, au commun. Il s’agit de créer par l’écriture un commun là où d’autres ne voudraient voir que du silence et de la honte, le commun des familles s’habillant de seconde main, le commun des femmes lesbiennes se faisant agresser ou assassiner en Afrique du Sud, le commun des enfants qui se font incester par un oncle, le commun des militantes féministes noires que l’on invite à attendre encore et encore leur tour. Il s’agit également de revendiquer un commun artistique. En ouverture de son recueil, Koleka Putuma remercie le collectif de slameurs et de slameuses Lingua Franca avec lequel elle s’est formée, dans le poème « Ligne de Vie », elle énumère toutes les autrices noires qui ont nourrie son travail. Par ailleurs, elle a créé Manyano Media, une structure de soutien professionnel aux écrivaines et travailleuses du théâtre qui s’identifient comme noire, queer et femme.

La poésie de Koleka Putuma s’est formée principalement à deux écoles, celle du Slam, poésie marquée par l’oralité et un fort ancrage social, et celle de la religion chrétienne qui habite ou plutôt qui hante son œuvre. Religion qui fait du verbe le commencement, religion basée sur un ouvrage rempli de poèmes d’images et de mythes, religion où la puissance de la parole est fondamentale (le prêche et le slam n’ont-ils pas cela en commun ?). Mais dans le même temps, religion du colonisateur, religion de l’homophobie, religion du père. Cette religion constitue en même temps qu’elle nie l’existence même de l’œuvre de Koleka Putuma et cette tension est l’un des cœurs d’Amnésie Collective.

Quand on lit les articles sur Koleka Putuma, tout le monde s’étonne, vous imaginez 10 000 exemplaires vendus d’Amnésie collective en Afrique du Sud ? Vous imaginez des traductions dans le monde entier d’un recueil de poésie ? Vous imaginez 10 000 exemplaires vendus d’un recueil de poésie ?

La poésie de Koleka Putuma par son souffle, son exigence et dans le même temps par son ancrage dans son époque et dans une situation sociale nous montre que oui la poésie peut être fédératrice, que oui la poésie peut être puissante.

Ce succès, c’est aussi celui de la forme poétique dans un monde qui confond trop souvent roman et littérature. La poésie est puissante parce qu’elle n’est soumise ni au temps, ni au schéma narratif, ni à un format prédéfini. La poésie permet aussi bien la brutalité de la punchline que la complexité du poème long comme Second-hands. Le recueil poétique laisse de côté la frise chronologique et pose devant nous sa collection de petits objets littéraires, chacun un monde en soi, ensemble un paysage. La liberté de la poésie, la diversité de ses formes permet à Koleka Putuma de dire (et non pas toujours de raconter) la complexité du monde dans lequel elle se situe.

Dans le premier épisode de la série télé américaine Girls sortie en 2012, l’héroïne Anna (jouée par la scénariste, réalisatrice de la série Lena Dunham) explique à ses parents qui doutent de son choix de carrière en tant que romancière : « I think that I may be the voice of my generation or at least a voice of a generation » Je crois que je pourrais être la voix de ma génération ou au moins une voix d’une génération ». J’espère qu’à l’image de Koleka Putuma, d’autres poètes et poétesses s’autoriseront aussi à avoir ce type d’ambition. Et que vendre 10 000 exemplaires d’un recueil de poésie n’étonnera plus personne.

Présentation d’Isabelle Lesquer-Laé lors du festival MidiMinuitPoésie#22

Lire le texte de création inspiré de leurs lectures écrit par les lycéens dans la Gazette des lycéens 2022.

Extrait de la lecture bilingue avec Isabelle Lesquer-Laé lors de MidiMinuitPoésie#22 au lieu unique, le samedi 15 octobre. Organisé par la Maison de la Poésie.

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