Élodie Petit

Élodie Petit

M/élodie, une invitation au désordre

Ce que je peux dire d’Élodie Petit est simple : plus je regarde son travail (écriture, dessin, mécriture, carnets griffonnés) plus je me sens concerné. Touché, ébranlé, interdit. Il y a là quelque chose qui pour moi est proche, très proche, et en même temps qui semble venir de loin, de très loin, et s’est abattu d’un coup sur le toit sans toit de ma cabane. J’ai très vite compris, en 2009 je crois, lors de nos premières rencontres, qu’il y avait là, sur ces feuilles quadrillées, comme rescapées d’une armoire de fournitures scolaires, une chose d’enfance très violente et très doucement violente aussi, qui s’écrasait en lignes appuyées, claires, nettes, appliquées, brouillées, brouillonnes. Crayons, encre, plumes noires, gommes, tout l’attirail qu’on tire de sa trousse. Je vois Élodie tirer la langue en écrivant sur ses genoux, dans sa chambre, dans le métro, en équilibre instable entre des corps fatigués. C’est bien pourquoi Élodie est vite devenue une invitée permanente de cette revue Nioques qui consacre l’essentiel de son énergie à publier « les brouillons acharnés des maniaques de la nouvelle étreinte » et tout ce qui a lieu (comme dit ce poète à qui nous avons volé ce titre un peu bizarre) « en lieu obscène ». Et dans la foulée ce sont ses graffitis fantomatiques, ces corps nus ou presque nus en positions, qui font la couverture permanente de la nouvelle série de la revue, celle qui est publiée avec les éditions de La fabrique. Élodie, ses mélodies criées ou barbouillées, jetées, froissées, ses dessins appuyés, frottés, pas finis, sont désormais partie « prenante » de cette aventure d’avant-printemps, toute attentive à la fabrication de petits projectiles pour après. Elle sait que l’activité (et la non activité) sexuelle, est une question politique. Mais très peu savent le dire et le montrer, sans en rien dire et montrer d’autre que les conditions, les percussions, les répliques sur la poupée que nous sommes, les yeux battus, les mains collées contre le mur des couloirs, dans le métro. La beauté-la laideur de ces corps cloués, nous. La virtuosité maladive de ces corps troués ou léchés, nous. Ce qui reste après que ses mains ont serré et lâché le papier, la virtuosité maladroite de ces gestes commencés, tirés sans viser, nous saute au visage et nous brûle les yeux. Si je vois Élodie tirer la langue ce n’est pas simplement qu’accroupie à l’angle de la rue elle tend son cou et s’applique à ne pas s’appliquer, c’est aussi qu’elle tire sur la langue comme on tire sur un élastique, et ça finit par casser. Sans orthographe et presque sans syntaxe, sous ratures, elle invente en courant, elle fait sauter les derniers verrous. Elle fait le récit déglingué de ça, de ce qui s’écroule en beauté, et se ramasse. En 2015, Élodie rencontre le théâtre : un moyen pour l’artiste de donner à ses textes l’animation d’un corps, d’une ville, d’une rue salopée de proférations queer. Figure centrale de ses pièces, Michael Jackson exprime la possibilité d’advenir au monde en étant ni homme ni femme, végétal, plutôt que mammifère, inventant son propre savoir du sexe. Et vient, viendra, éclater en feux d’artifices, en jet de lumière. Une littérature utopique et réaliste, utile. Elle dit (c’est vrai qu’il pleut beaucoup) : « j’aimerais que les gens soient un peu plus en colère ». Oui. Un peu plus de colère ! Elle dit aussi : « l’oiseau s’envole le plus loin possible » ; j’ai l’impression qu’elle parle d’elle, de l’oiseau qu’elle est, et au moment où je lis ces lignes elle est déjà très loin, hors d’atteinte. Ce qui me semble évident (à la relecture) c’est qu’en effet non seulement elle aime les animaux et les arbres et le gris, mais qu’après avoir traversé toutes les rues les plus tristes et les plus cruelles et les plus sales, elle arrive à dire ce qu’elle, l’oiseau qu’elle est décidément, pense au fond de tout ce qu’ils écrivent (ensemble, elle et l’oiseau qu’elle est) : « son chant sonne comme une menace ou une invitation au désordre ». Elle, Élodie, « enfant de la pollution », elle sait respirer. Elle nous apprend à le faire.

Jean-Marie Gleize, 2015

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