Valérie MRÉJEN

Depuis 1999, Valérie Mréjen a publié cinq livres, exposé son travail vidéo dans les galeries d’art, travaillé à plusieurs courts-métrages, tourné un documentaire et réalisé un long métrage de fiction avec Bertrand Schefer, lui aussi écrivain. Voilà des années bien remplies – mais reprenons au début.

En 1999, sort donc chez Allia un petit livre sobrement intitulé Mon grand-père. Le livre évoque certes cette figure, mais plus généralement la famille de l’auteur, père, mère, frère, tante lointaine : une famille juive parisienne, milieu bourgeois. le livre détonne car le texte se présente sous une forme éclatée en multiples fragments, somme de choses vues ou recueils de souvenirs éparpillés et légèrement acides, où l’on apprend entre autres que ce grand-père un peu autoritaire et porté sur les femmes « partait tous les ans en Italie d’où il nous envoyer une carte postale adressée à notre chienne », ou bien que « mon père employait souvent le mot bibelot », ou encore que « ma mère fière malgré tout d’appartenir à une certaine classe sociale n’assumait pas totalement d’avoir épousé un rustre ». Parfois ça saute du coq à l’âne, parfois les fragments s’enchaînent autour d’une thématique quelconque, néanmoins la méthode est posée : on a affaire à du roman familial, mais en miettes. Deux ans plus tard, un second livre, L’agrume, reprend une forme semblable, cette fois autour d’une aventure amoureuse que l’auteur aurait eu avec un étudiant polytechnicien. On revient en famille avec le troisième livre en 2004, Eau sauvage. Ce livre est cette fois entièrement composé de paroles que le père a adressé à sa fille, lors de conversations, au téléphone, ou laissées sur le répondeur, ou peut être recopiées de lettres envoyées lors de vacances à l’étranger. S’y dessine le portrait d’un père jamais avare de contradictions, qui semble aimer sa fille mais ne sait que trop mal l’exprimer, sauf en lui faisant des cadeaux. Il se confirme aussi que ce père emploie bien le mot « bibelot » : « il faut que je trouve quelque chose pour ces amis qui me reçoivent, une babiole un bibelot ». On peut voir sur le site de Valérie Mréjen, qui recense l’intégralité de son travail, une petite plaquette autocollante qu’elle a publié juste après sa sortie des Beaux-arts. Ça s’appelle « Plaisir d’offrir », ce sont des étiquettes à coller sur les paquets cadeaux où on lit des phrases comme « de toute façon c’est l’intention qui compte » ou alors « j’ai couru toute l’après-midi pour acheter cette merde. » Plaisir d’offrir, donc. Sur l’une des étiquettes, on lit aussi « il y avait plusieurs bibelots, j’ai pris au pif ». On se dit que cette simple plaquette est peut-être, rétrospectivement un portrait de ce père-là. Livre ou autocollants, les œuvres se répondent, comme le dispositif de ce livre, un recueil de paroles, renvoie au dispositif que Valérie Mréjen utilise dans son travail vidéo. Elle filme des personnes en plan serré en leur demandant de lui raconter une histoire, une anecdote. C’est la même attention au langage d’autrui qui se manifeste, la même attention aux menus détails que le langage transmet.

De livre en livre, s’assemble un puzzle familial, qui s’agence (comme chez Perec, par exemple) autour d’une case vide, d’une absence laissé en suspens – ici, celle de la mère. Une note extrêmement pudique à la toute fin du premier livre laisse supposer une part d’ombre : « j’ai pris sa dernière photo le soir de Noël, elle s’était fait couper les cheveux et portait un chemisier en mousseline rouge rayée de fil d’or avec un col à volant ». Le quatrième livre, en 2012, plonge en cette Forêt noire qui entoure sa disparition. Le texte s’ouvre comme une marche funèbre, scandée de morts violentes, parmi lesquelles reviennent les souvenirs de cette mère, partie pour s’émanciper mais rattrapée dans sa course. Le livre est surtout une réflexion sur les deuils successifs qui habitent une vie, et sur les phases que les vivants trouvent pour porter leurs morts et continuer de leur parler, parfois avec légèreté, de presque rien. A peu près aux mêmes dates, Valérie Mréjen et son compagnon ont également réalisé un court-métrage où des amis réunis autour d’une table en viennent à évoquer une personne disparue. Les œuvres avancent ensemble, entre les paroles échangées et recueillies, les textes publiés et les images filmées. Le cinquième et dernier livre en date, enfin, Troisième personne, revient du côté des vivants, puisqu’il y est question de l’enfance, ou plutôt de ce que fait l’apparition d’une enfant à ceux qui l’ont précédé dans la vie et qui, désormais, se trouvent ramenés en arrière : « ils comprennent qu’il est inutile de crier attends-nous mais ils ne savent pas quoi dire d’autre. A cette distance, c’est la seule parole qui leur vient. »

Frédéric Laé

Revoir sa lecture et son court-métrage en livestream depuis le lieu unique le mercredi 3 février 2021

Pour la sixième fois, le Musée d’arts de Nantes et la Maison de la Poésie de Nantes s’associaient. Valérie Mréjen était invitée à écrire librement un texte à partir de deux œuvres du musée (Les Cribleuses de blé de Gustave Courbet et Répartition aléatoire de 20% de carrés, superposée 5 fois en pivotant au centre de François Morellet) qu’elle a lu le jeudi 11 février.

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