Claude FAVRE

Claude Favre © Jean-Marc de Samie

On n’en a jamais fini avec un texte de Claude Favre.
C’est une expérience.
Qu’il soit performé par la poète ou qu’il soit lu dans l’intimité, il reste, s’accroche, tourne, obsède.
Ses textes, d’abord. Affûtés pour être dit à voix haute.
Mais jamais les mêmes.
On se souvient de Interdiction absolue de toucher les filles mêmes tombées à terre, d’A.R.N, agencement répétitif névralgique voyou, Cargaison, Vrac Conversation. Et puis, bien sûr, beaucoup de publications en revues papier ou numériques, Action Poétique, Nioques, Remue.net, La Vie Manifeste. Une belle vitalité, une belle radicalité pour la langue de guingois de Claude Favre.
Mais langue de guingois est langue juste. Poète et performeuse, Claude Favre aime à dézinguer la syntaxe, à produire des explosions dans la langue, ne dit-elle pas « pousser les murs, crever les toits (..), il y a des attentats dans ma bouche ». Crever les toits etc, justement, titre suivi de Déplacements, qui dit, qui hurle le monde. Et pour être au plus juste des drames humains, des textes serrés, sans majuscule, virgules éparses, tirets bas pour dire l’urgence à dire. Dans Déplacements, elle égrène des vers numérotés de 1 à 1672, des phrases courtes, lapidaires, comme des dépêches AFP tombant une à une, des bombardements de vers, superposés à des voix d’hommes et de femmes. Non pas dénoncer ni militer, mais être poète déchantant en réinventant la langue, pour ne pas parler la langue normée et dominante. De la marge, vider le trop plein de ce monde, bouger les mots, bouger la langue. Claude Favre dit « Je ne dors plus, j’ai des chiens de guerre sous la langue ».

Et on se souvient de cette citation d’Antoine Vitez que la poète avait noté dans son texte Précipités, « Mon corps est fait du bruit des autres ».
Dans Crever les toits etc elle convoque Mossoul, Calais, Bamako, Alep, Lampedusa, pour évoquer ceux et celles déplacés, tués, persécutés, « jusqu’où irons-nous tu dis, à ne plus supporter, déborder »

Et l’on pourrait désespérer. Et l’on pourrait crier à l’impuissance. Mais il reste les mots, toujours. La poésie. Non pas pour consoler mais pour éveiller. Malgré tout ne pas perdre espoir car il y a un peu de cela chez Claude Favre, « la vie est là, imagine, nous sommes là, etc.. tant désir de danser, danser ».
Et pour accompagner la danse de la langue de Claude Favre, le violoniste, compositeur, improvisateur Dominique Pifarély. Un complice. Qui s’est frotté à la musique classique, cajun, au blues, et qui, depuis les années 80 se produit sur la scène jazz contemporaine. Ses compagnonnages et rencontres sont nombreux : Louis Sclavis, Martial Solal, François Corneloup, Michel Portal, Bernard Lubat, Rabih Abou Khalil. En 2000, il crée sa propre Compagnie Archipels à l’origine de nombreuses créations, dont celles autour de la poésie et la littérature auxquelles il est très attaché. Il a d’ailleurs enregistré en 1996 un album sur la poésie de Jacques Dupin, André du Bouchet et Paul Celan. Attachement qui l’a poussé à travailler sur des lectures-performances avec François Bon, ou sur des textes de Charles Pennequin. Et, bien sûr, avec Claude Favre.

Sophie G. Lucas

Extrait de la lecture-concert avec Dominique Pifarély lors de MMP#20.

Lire la Gazette 2020 écrite par les élèves du lycée de l’Externat des Enfants Nantais. 

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