Marcella Durand (poète américaine)

Marcella Durand -c- Phil Journe

Dans Le Jardin de M., dont le titre est emprunté à la toile du peintre américain Philip Guston (1960), Marcella Durand réinvente l’espace, celui de la ville, celui du langage et du poème. Contempler la toile de Guston après en avoir lu le titre, c’est être arraché à la tentation de reconnaître un lopin de terre cultivé, c’est aller d’un désir de repos figuratif à l’abstraction des formes et la force des couleurs qui s’imposent à nous. De même, lire les poèmes de Marcella Durand, c’est, à l’heure d’une cartographie totale du monde, revenir à une appréhension élémentaire de l’espace et du langage, comme si on revenait à l’invitation de Lucrèce : « tenir un compte exact / quant aux choses d’en haut, d’une part, et saisir / comment se fait le cours du soleil, de la lune, / quelle force soutient toute chose sur terre. » (De Natura Rerum, I, 127-131). Chez Guston l’initiale M. dissimulait le prénom de son épouse et de sa fille ; ici, dans le livre, nous pourrions être tentés de lire le M. de Marcella et y chercher trace de l’auteur. Mais cette dernière est tout occupée à tenir le compte exact de cette géographie d’air et de lumière qu’elle propose en même temps qu’elle travaille à recomposer un langage divisé : dans les poèmes de Rayons de l’ombre, cela passe par l’utilisation surprenante, en langue anglaise, de l’alexandrin, comme si la poète américaine, de père français, avait voulu faire rentrer sa langue dans la mesure française, comme pour la faire tenir, l’empêcher de fuir.

« Présente une nouvelle géométrie du soleil, / retrouve un langage qui pourrait être futur / et qui est sans doute divisé. Peut-être un / langage comme la ville avec ses zones / aux temps et souffle différents […]». Ne pas rester dans une zone, mais comprendre de quoi elle est faite, peser son temps, prendre son souffle et assurer ainsi les conditions du passage vers une autre, voilà la tâche et le bonheur du lecteur dans ce jardin de formes et de mots.

Marcella Durand a publié plusieurs livres de poésie, Area (Belladonna Books, 2008), Traffic & Weather (Futurepoem, 2008), long poème né d’une résidence au Lower Manhattan Cultural Council dans le sud de Manhattan à New York, ainsi que Deep Eco Pré (Little Red Leaves, 2009), fruit de sa collaboration avec Tina Darragh et inspiré, en partie, de La Fabrique du pré de Francis Ponge. Lauréate poésie en 2009 de la New York Foundation for the Arts, nommée en 2010-2011 pensionnaire en écriture et poétique (Fellow in Poetics and Poetic Practice) à l’Université de Pennsylvanie (Center for Programs in Contemporary Writing), puis au Black Earth Institute entre 2011 et 2013, Marcella Durand est actuellement pensionnaire en arts (Civic Liberal Arts Fellow) au Eugene Lang College à la New School (New York). Marcella Durand habite à New York où elle travaille actuellement à une traduction des Horizons du sol de Michèle Métail et à deux livres de poésie, The World Is Composed of Continuous Objects with Various Shapes that Can Obscure One Another et Rays of the Shadow.

Olivier Brossard, 2016

 

Extrait de la lecture de Marcella Durand lors de MidiMinuitPoésie #16, au Pannonica le jeudi 8 décembre 2016 :

← Retour