Thomas Clerc

Thomas Clerc ©Phil Journe

Autrement la poésie

« Artiste de variété », ainsi se présente Thomas Clerc au seuil des 751 poèmes (pas moins) que contient Poeasy. Se définir de la sorte, on en conviendra, n’est sans doute pas la meilleure façon de se faire accueillir à bras ouverts dans un monde de la poésie où l’on est souvent familier de postures moins modestes et d’habits plus solennels.

Venu du monde de la prose, Thomas Clerc est pour la poésie un horsain, un outsider, qui se moque bien des orthodoxies poétiques en vigueur, n’hésitant ni à les brocarder ni à s’affranchir de leurs préceptes. D’emblée, le titre annonce d’ailleurs la couleur : c’est une poésie « facile » (easy), lisible, que propose au lecteur « thomas/l’imposteur »; une poésie en tout cas en rupture radicale avec la doxa qui s’est installée dans le sillage du « camarade Stéphane ».

Les poèmes, généralement brefs, s’y entassent et s’y succèdent sans transition, aléatoirement ordonnés selon le seul ordre alphabétique. Nulle finalité, nulle organisation narrative, rien d’autre que le hasard de la première lettre des titres, en écho à la vie chaotique et à sa foncière contingence. Une façon de résoudre, par la forme d’un livre de poésie à la fois rhapsodique et ample, la question que Barthes se posait, à propos du roman, du conflit et des difficiles accordailles entre la brièveté épiphanique du poème façon haïku et les longueurs narratives requises par la « générosité » du roman.

Privilégier le « fond » (les guillemets s’imposent), cela signifie tenter de tout embrasser de la vie et du monde. Variant les registres et les formes (du poème politique à l’autoportrait en passant par la ballade ou la vignette satirique), Poeasy ne veut rien laisser hors de sa diction. « J’épouse tout », écrit l’auteur. Mais ce tout embrassé par le livre est un tout ouvert. La forme alphabétique implique d’ailleurs que le livre pourrait être indéfiniment enrichi, augmenté. Rien n’est définitif, achevé, et ce d’autant moins que l’auteur n’érige pas ses poèmes en statues de marbre intouchables : « Je n’aime pas tous mes poèmes c’est / pourquoi j’en fais d’autres, j’en fais / et j’en refais encore ».

Joyeusement iconoclaste, Poeasy n’invite donc pas seulement à une conversion poétique qui consisterait à prendre le parti d’une gaya poesis, d’une poésie « joyeuse » (sinon amusante), en rupture de ban avec les canons dominants. Il témoigne aussi d’une conversion personnelle de l’auteur ayant valeur « poéthique » (avec un h). Autrement dit, il témoigne d’une mutation dans l’ordre des formes de vie, mutation où la poésie joue un rôle déterminant.

Conversion à la vie ordinaire (à sa description et à sa narration), mais aussi à l’Histoire (la grande) : « Le jeudi 8 [janvier 2015] com- mença / l’année terrible aux attentats le bug /qui perdure aujourd’hui / et pétrifie // sauf /la décision que j’ai prise / de ne plus être en dehors de l’Histoire ». S’ensuit une grande attention à l’époque, aux signes qui témoignent en elle d’une mutation qui souvent nous déboussole. Et l’on n’est par conséquent pas surpris de trouver dans Poeasy des poèmes politiques, où l’auteur affirme sa volonté de « tordre le bâton du XXIe siècle / vers moins de régressif et moins de délétère ».

Livre d’un horsain disais-je, livre d’un auteur venu d’ailleurs que du pré carré poétique. Iconoclaste, Poeasy a le grand mérite de bousculer les lignes. Réjouissant, il a aussi celui de tirer souvent plein cadre, dans la cagede l’époque, et d’en faire trembler les filets.

Jean-Claude Pinson, 2017

 

Extrait de la lecture de Thomas Clerc, à l’occasion des soirées « Poèmes en cavale », mercredi 8 novembre 2017 au lieu unique à Nantes.

← Retour