Anaël CHADLI (poète français)

Anael Chadli par Phil Journe

Sur son site internet, Anael Chadli se présente : « À la fois poète et plasticien, je travaille à une morphologie d’écriture manuscrite. J’investis l’espace libre entre l’écriture et l’image permettant de rendre sensible le mouvement de l’écriture dégagé du motif narratif. »


L’écriture est sa matière, soit la trace noire – il utilise une encre noire – que laisse le stylo sur le papier. C’est « son médium », du latin « centre, milieu », ce qui est au centre de son activité. Il laisse une ligne d’écriture sur des feuilles de papier. Pour alimenter cette trace, « son topos », du latin « lieu », est constitué de toutes les écritures dont il se nourrit par la lecture. Effectuant une opération sur le texte, qui, perdant son statut, laisse apparaître un paysage par une transmutation alchimique, voire une « transsubstantiation », puisque d’une liquidité/fluidité il fait un corps, une image, d’une linéarité il donne une surface, d’un lire il ordonne un voir.
Ainsi « Voix » dont il est question dans Notes de voix est un ensemble de grands panneaux de 150 x 50 cm, recouverts d’une seule et même ligne d’écriture constituée d’extraits de textes de poètes du monde entier composant un poème unique, qui se prolonge d’auteur en auteur, sans ponctuation aucune. On pressent à cette description l’aspect continu de l’œuvre, son infinitude, peut-être dans l’idée de laisser une trace de toutes les lectures d’une vie. On pourrait penser à la suite numérique d’un artiste comme Roman Opalka « dont le but était d’inscrire la trace d’un temps irréversible. »


Anael Chadli s’intéresse à la forme que rend une œuvre. Précédant « Voix », s’y prolongeant, nourrissant les uns par les autres, nous trouvons les « Paysages », ligne d’écriture d’un seul auteur sur des formats variés (75 x 30 cm, ou A4) – Bernard Noël, Patrick Beurard-Valdoye, Nabokov…, les « Poeysages », feuillets de 15 x 15 cm, constitués de fragments d’une seule œuvre – Rainer Maria Rilke, André du Bouchet…

Notes de Voix est donc un livre tour à tour journal, prose, poème :
– Il dit l’hybridation de deux univers, l’un plastique, d’une grande exigence et d’une tenue rigoureuse, et l’autre, littéraire, dans une poétique revendiquée et assumée.
– Il cite les auteurs qui s’assemblent dans « Voix », donnant envie de les découvrir, d’aller plus loin.
– Il révèle les réflexions sur la création, l’auteur/plasticien dans ses rapports à l’œuvre, à sa nécessité. Il nomme son poids, la forme certaine d’une dictature, les doutes, les difficultés de qui s’y livre.
– S’y lit aussi, dans le sensible, le besoin de lâcher prise, de laisser « Voix » se construire, définir le paysage dans l’avancée, sans chercher à conduire, mais bien plus à tenir l’intensité.
– Il est au croisement sensible du chemin de l’œuvre avec le cru du quotidien, le besoin qu’elle vive, mais aussi qu’elle nourrisse son créateur, les rapports marchands, les expositions, toute une réflexion sur la « valeur » du « travail ».
– C’est encore un texte qui ouvre, à, vers, qui avance, fait avancer, et qui, utilisant une matière poétique, réserve des lacunes, des blancs, des failles, pour notre liberté.

L’écriture d’Anaël, sa lisibilité fluide dans la prose mais aussi dans les poèmes, qu’il s’agisse de « Voix » ou de ses écrits personnels dans lesquels il est possible de lire parfois l’influence des auteurs lus, porte trace de recherches formelles, d’inventions langagières, de collusions, souvent effleurées parce que le propos reste principalement les notes. Et que cette forme fonctionne bien.

 

Roland CORNTHWAITE

Lecture d’Anaël Chadli lors des soirées « Poèmes en cavale », organisée par la Maison de la Poésie de Nantes, mercredi 17 janvier 2018 au lieu unique.

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