Mathieu Brosseau

Mathieu Brosseau est bibliothécaire. Il en existe deux sortes : ceux qui défendent l’écriture contemporaine, et les autres. Mathieu appartient à la première catégorie. À la bibliothèque Marguerite Audoux, dans le Marais, il organise des rencontres régulières avec des poètes : c’est à cette occasion, invité par Mathieu en 2010 pour y parler de poésie, que j’ai eu le plaisir de le rencontrer. Habité par sa passion de la littérature et de l’échange, Mathieu Brosseau écrit, publie, articles, poèmes, romans. En revues, sur le net, chez divers éditeurs.
Chaos est un roman, mais le poème n’est pas loin. L’écriture ne se plie pas aux normes, ni aux codes convenus du récit. Avant d’être roman, le livre est rythme.
Nous est contée l’histoire d’une Folle – on la nomme ainsi, avec une majuscule – internée, parce qu’elle voit ce qu’on ne voit pas. Les fous ne sont pas ceux qu’on croit. « On peut se demander pourquoi les Cours condamnent… » écrivait Genêt. On se demande aussi pourquoi les sociétés enferment. Ces questions, Foucault, Guattari, Cooper les ont posées, et Mathieu Brosseau les a lus.
Qu’y a t-il dans le chaos que voit en permanence la Folle ? Cette masse rougeoyante et flasque au-dessus d’elle qui ne la quitte jamais. « Une sorte de chorion, dit-il, c’est-à-dire, un placenta ». Et dans le chaos de sa tête qui ne demande qu’à naître ? C’est ce qui intrigue l’Interne en médecine, dont la spécialité, l’obstétrique, est de faire naître. Il est souvent question d’accouchement dans la poésie de Mathieu. À quoi servirait d’écrire si ce n’est pour porter au jour ce qui est enfoui, ce qui n’a pas crié ?

Écoutons ces mots puisés dans un précédent recueil : « Il n’y a pas d’autres chemins, nul espoir de converger, de tourner, de bifurquer, de pivoter, ni même de revenir, c’est là tout le carcéral de ma tête et sa sortie, la prison de mes yeux et leur aboutissement, la foi et la peine, la peine d’accoucher… ».
L’Interne – avec ce seul nom et sa majuscule –et la Folle partent en cavale. À la recherche d’une jumelle artiste. Le récit se fait road-trip. D’une ville vers une autre. Les villes, comme les pays et les gens sans nom, sont génériques. Il est beaucoup question d’itinérance, de déplacement, voire de déroute dans les textes de Mathieu, « Chaos est une traversée ». Dans ses livres, on prend la tangente. Son précédent roman s’intitulait Data Transport. Son recueil Ici dans ça nous conduit de A vers B. Et Chaos peut être entendu comme un voyage vers le « Ça ».
Il est aussi question de corps, d’organes. On n’est jamais que chair et sang, fait d’humeurs, d’humus variés, corps et langues au pluriel. « Un texte n’a de sens que si il est profondément organique. » On a lu Artaud. L’être est fait de Uns, titre d’un précédent recueil.
Le mot Chaos est un motif récurrent, obsédant, dans l’œuvre de Mathieu Brosseau. Mais, ainsi que le soulignait Jean-Philippe Cazier dans Mediapart, « Parler de chaos, ici, ne renvoie pas à la simple idée de désordre mais à celles d’immanence, d’indifférenciation, de vitesse… » Cette vitesse qui habite les textes, leur donne énergie, fulgurance et richesse, ce qui les rendait résistants, mais pas cette fois. Chaos est un livre qui s’ouvre aisément. La Folle est un portrait de femme qu’on n’oublie pas.

Alain Girard-Daudon

 

Il était présent en mars 2018 à Trempolino, à Nantes dans le cadre des soirées « Poèmes en cavale » accompagné du comédien Jean-Marc Bourg.

Extrait de la lecture : Chaos (Quidam, 2017)

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