Luc Bénazet

Luc Benazet -c- Phil Journe

GRAMMATA est une pièce sonore poétique créée en 2014 par le poète Luc Bénazet, la vocaliste Deborah Lennie et l’artiste sonore Patrice Grente.

Cette œuvre hypnotique et sensorielle nous invite à aller à la rencontre des mots.

Ou plutôt, je devrais dire à l’encontre des mots, tant GRAMMATA questionne profondément l’idée du langage dans son cœur/corps même, pour nous le révéler dans toute sa constellation des possibles, aussi malhabiles soient-ils et nous rappeler la joie d’un babil lointain des premiers temps.

L’adresse et la maladresse se côtoient joyeusement et très souvent dans les textes de Luc Bénazet (dont les titres sont déjà évocateurs d’aventures poétiques potentielles – citons notamment : La vie des noms, nÉcrit, Articuler)

/// J’ai découvert et lu hier soir dans La Gazette des lycéens réalisée à l’occasion de MidiMinuit, le texte de Marie, Juliette & Jules, consacré à Articuler. Texte que je trouve subtilement et intelligemment délicieux et dont je me permets de vous lire un court extrait:

Articuler : ce titre nous interpelle car il est totalement à l’opposé du texte qui nous semble désarticulé. Où trouver l’articulation ? Dans sa construction avec les séries ? Dans l’appel à articuler les mots et les lettres de cette œuvre pour dépasser la désarticulation du texte ?

À la suite de ces quelques questions, je vous laisse découvrir quelques réponses et la suite dans La Gazette… ///

Mais revenons agilement et l’air de rien à cette – comment dire – constance d’adresse / maladresse qui semble être au cœur/corps de la démarche poétique de Luc Bénazet qui s’amuse sérieusement par des jeux de perturbations / dans la page / dans le mot / qui n’exclut aucune faute de frappe digne d’un dyslexique qui travaille le texte pour enfin l’essorer / qui ne se prive d’aucun Bugs – comme on dit de nos jours (« Bugs » étant d’ailleurs le titre d’un des mouvements de GRAMMATA) / qui bricole des variations typographiques déroutantes et tonitruantes, proposant au lecteur d’affiner son acuité pour avoir une vision proche de celle d’un sorcier vaudou ou d’un chaman flirtant avec la transe et possiblement apercevoir l’au-delà des mots et de la langue.

Tout cela créant une matière textuelle/visuelle/sonore organique, envoûtante – magique, en perpétuel.le mouvement et invention qui nous laisse le plaisir potentiellement de la prolonger à notre guise dans une évasion des sens, sons (même proportion).

Une invitation.

Oui, une invitation dans la lignée de Jaap Blonk, des Furious Pigs, de John Cage, de Christophe Tarkos, d’Anne-Laure Pigache, ou de Jérôme Game et de tant et tant d’autres déchiffreurs/défricheurs creusant inlassablement le sillon sans fond d’une langue vivifiante. Sons et sens (même proportion) s’entremêlant.

C’est ce que j’appelle personnellement la littérature de Clowns.

Et j’y incorpore Luc Bénazet.

Mais attention !

N’y voyez ou entendez, ici, aucune malice de ma part et encore moins une insulte méprisante.

Bien au contraire !

Dans ma bouche, le mot clown est à prendre très au sérieux, tout comme dans le théâtre élisabéthain, et dans son sens premier, à savoir : celui qui tombe… mais se relève toujours promptement et vaille que vaille, dans une pirouette virevoltante défiant toute notion d’apesanteur.

Une littérature de clowns, c’est pour moi, une écriture/un phrasé quelque peu bancal.e, qui vacille, boite, chancelle, claudique, fait des claquettes, chute et danse (parfois avec le diable ou les anges), et cherche et invente sa propre démarche en direct et en compagnie d’un burlesque agitant les sens, les sons (même proportion).

C’est un peu comme les corps de Keaton, Lloyd ou Chaplin se débattant sans un mot dans un monde trop étriqué pour leur envergure d’albatros.

Ou aussi, les truculentes Silly Walks des Monty Python.
C’est un rude combat entre le bien écrire VERSUS l’écrire qui parle.
C’est tout cela et encore plus, la littérature de clowns.
Mais revenons à nos moutons qui disent Meuh…
J’évoquais à l’instant, pour d é finir GRAMMATA, avant mes digressions labyrinthiques : un babil des premiers temps.
Une sorte de Ur2-langage / une primordiale langue donc, qui dans sa (pseudo) maladresse, sa gauchitude (de façade) nous invite, ou plutôt, nous convoque (car nécessité, il y a !) à ouvrir nos écoutilles.

C’est ce que GRAMMATA nous invite à faire.

Pour finir encore, c’est quelques derniers petits mots extirpés de La vie des noms de Luc Bénazet :

« parler de minuit à midi, alors
et de midi à minuit, ne pas parler, ___ quand c’est le temps
des parlers morts non-morts, si c’est le temps même des parlers vivants non-vivants parler seulement
au moment que les parlers vivants pénètrent »

Yves Arcaix, 2016

 

Lire les notes de lecture écrites par les lycéens dans la GAZETTE DES LYCÉENS 2016

Lire l’interview de Luc Bénazet par les lycéens dans ENTREVUES

Extrait de la lecture sonore de Luc Bénazet, Deborah Lennie (vocaliste) et Patrice Grente (artiste sonore) lors de MidiMinuitPoésie #16, samedi 10 décembre 2016 au lieu unique :

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