Fabienne Yvert
Fabienne Yvert est poète.
Je sais qu’elle est poète et maintenant que je vous ai dit qu’elle est poète, je sais que vous savez qu’elle est poète. C’est bien. Et aussi « je sais que je sais que je sais ». Je dis cela parce que c’est une phrase de Marie-Hélène Clément édité sur un Tourniquet par Fabienne Yvert. Il y en a plusieurs et de toutes les couleurs. C’est beau et gai. Comme l’écriture de Fabienne Yvert d’ailleurs.
À part ça, comme tout un chacun, Fabienne Yvert a un papa, une maman, une mémé, une crevette soumise avec œil sournois. Sauf qu’elle, elle a en prime un papa, une maman, une mémé, une crevette soumise avec œil sournois en papier. En papier avec des mots dessus. Un papa, une maman, une mémé, une crevette soumise avec œil sournois en mots. C’est bien, c’est beau. Ce qui est beau aussi c’est que maintenant je sais que vous savez ce que je sais. Et donc vous savez ceci et cela. Tout ceci et cela est sentimental et vous le comprenez fort bien car il n’y a pas que votre égo qui vous intéresse. Ni que votre argent. Ni que l’amour. Ni que le pouvoir. Ni que le langage. Ni que le rêve. Puisque visiblement la poésie aussi vous intéresse. Voilà que vient de tourner un autre Tourniquet de Fabienne Yvert.
Et donc la poésie vous intéresse. Tout comme Fabienne Yvert qui a mis son papa, sa maman, sa mémé, sa crevette soumise avec œil sournois en poésie. Et d’autres choses. Tout un tas, grand tas d’autres choses. Agissant comme un flic ou comme une concierge. Promenant son miroir le long des chemins. Ou son polaroïd. Ainsi y-a-t-il chez Fabienne Yvert un tapis qui s’use quand elle tourne en rond dessus. Un marchand de tissus où se requinquer après trop de poésie et où trouver de quoi se faire une robe. Un autre tapis, celui-là petit et installé sur un trottoir par une cinquantaine d’hommes afin de prier. Un torchon girafe, offert par Stefan tandis qu’Alice a offert un torchon « le chemin des alpages ». Et cetera, et cetera.
C’est sans doute que n’ayant sans doute pas digéré qu’un professeur de français l’exhorte d’apprendre Le Lagarde et Michard par cœur, elle se venge en écrivant une manière de Lagarde et Michard de son monde à elle. Qu’on y pense un peu. D’un côté un livre avec tous les littérateurs, ou presque, dedans. De l’autre les livres de Fabienne Yvert avec tout le monde, ou presque, dedans. C’est bien. C’est même très bien. Cela pourrait même s’appeler Tout l’univers de Fabienne Yvert.
C’est que Fabienne Yvert explore le monde. L’éclairant de sa manière toute particulière qui n’est pas à l’aide d’une lampe mais en le noircissant d’encre noire. C’est qu’elle sait que l’encre de la poésie éclaire. Éclaire d’une manière toute particulière puisque le poète sait que le monde se complique quand il ne rêve pas, quand il ne dort pas, ne mange pas, ne te voit pas, ne s’en fait pas, ne baise pas. Nouveau Tourniquet. Aussi arrive-t-il souvent à Fabienne Yvert de faire de la poterie, des lampes, du tricot, du tricotin et de la couture. Et de faire des livres pour Harpo &. Harpo ? Sans doute un harpon sans le N. Un harpon sans haine. Un harpo servant sans doute à attraper le monde sans lui faire de mal. C’est bien. C’est même très très bien. C’est ainsi qu’elle fait, de sa manière incisive et drôle, tendre et alerte, affectueuse et pas compliquée pour deux sous.
Et ceci fait elle fait des livres. Pour les libraires. Afin que les libraires les vendent aux lecteurs. Ces dernières années, aux éditions Harpo &, Le Tripode, Attila, ainsi qu’à La Ville brûle. Et cela fait, elle fait aussi des livres qui créent des rencontres avec d’autres artistes, des danseurs, des plasticiens, des photographes, des designers. Pour des performances, des spectacles, des lectures, des créations.
Mais revenons aux livres. Ou plutôt venons aux livres que Fabienne Yvert fabrique à l’edpl. À l’édition des petits livres. Qu’elle dirige depuis 86. Où elle a remonté depuis 2013 un atelier de typographie « afin de cuisiner familièrement les livres et la langue, avoir les mains dedans. Brosser les mots dans le sens du plomb pour en pourchasser le sens embusqué dans les coins, en manipuler la forme ». Voilà, c’est dit. Et c’est bien dit parce que c’est Fabienne Yvert qui le dit.
Rémi Checchetto, 2016