Nina Yargekov
Nina Yargekov, née en France en 1980 de parents hongrois, a publié trois romans chez P.O.L.
Double nationalité : ce roman impossible est une machinerie de déconstruction identitaire, implacable, vertigineuse, absolument logique. Partant d’une situation classique, d’un quasi lieu commun des littératures de mystère, celui de l’amnésie d’une narratrice qui va chercher à se retrouver, et pour ce faire, enquêter sur elle-même, rigoureusement : inspectant ses papiers, retrouvant son domicile (en France), rouvrant ses correspondances, explorant les lieux du travail et d’origines (en Yazigie, sorte de Hongrie imaginaire), le livre s’adresse à la deuxième personne du pluriel à cette narratrice (très) ressemblante à son auteure.
Cette raisonneuse dialogue et disgresse avec elle-même, coupant en somme les cheveux en autant de cheveux qu’il peut y avoir sur un crâne – c’est-à-dire, à l’infini.
Ce double postulat (narratif : l’amnésie ; énonciatif : la deuxième personne) permet de poser, fictionnellement, des questions d’identité, tangibles, proposant à la fiction d’agir dans le réel – en renversant l’ordinaire représentation, par un usage interrogateur du langage (elle est traductrice, du hongrois vers le français, et notamment de textes juridiques).
Ce jeu de masques est une manière usuelle d’agir et de s’énoncer chez Nina Yargekov. Lorsqu’elle se présente comme espionne velléitaire sur le site de son éditeur, c’est encore faire signe de cette fantaisie extrêmement sérieuse, on dirait pince-sans-rire quand c’est l’inverse : elle nous pince, on rit, sans cesse. Et ce vertigineux Double nationalité nous le prouve sans cesse : à chaque page, à chaque rencontre ratée (avec autrui, avec son origine, avec aucun des deux pays dont elle ne parvient à élire un favori, un originel) qu’elle narre, elle nous pince et nous fait rire, les deux toujours simultanément.
Étrangère toujours, étrangère de Yazigie en France puis étrangère de Lutringie (une France imaginaire, apparaissant dans une deuxième partie parfaitement symétrique du roman) en Hongrie, on n’en sort pas de ce vertige en lequel la narratrice franco-hongroise, hongro-française, se débat, cherchant sa place, et nous entraîne, qui souffrons (et rions) avec elle de cette impossible autant qu’obligée assignation — cherchant sa place quand elle est là d’emblée et toujours plus, cette place, là : entre les langues.
Guénaël Boutouillet, 2017
Extrait de la lecture de Nina Yargekov, jeudi 9 février 2017 au lieu unique :