Yannick Torlini
Dans un texte publié sur un blog de Médiapart, Yannick Torlini écrit : « Je dis, plus souvent que j’écris des textes, que je fais des textes. Je peux dire que je suis un homme jeune qui fait des textes. Je parle de malangue : ma-langue, mal-langue. La sale langue. Je n’ai pas trouvé mieux pour désigner ce phénomène qui creuse la phrase, qui creuse le désastre, qui creuse avec des doigts de sang et en moi-même également, comme dans une argile, évide la peau, les muscles, les os – car la malangue ronge cette langue du On dont je suis entièrement fait. »
Et de fait, son premier recueil publié en 2012 aux éditions Vermifuge s’intitule La Malangue. Il nourrit aussi un blog, Tapages dont il est dit dans la présentation : « Tapages, c’est aussi ceux qui pensent que le poème est un corps en action. » Chaque parution, chaque texte creuse cette matière qui serait sa langue. Langue au corps, langue du corps, comme le suggèrent les titres : Archipel des nerfs, Paysages du corps duel, Un matin tu t’es assise, Nous avons marché, Tu voudrais ton corps avancer.
La phrase de Yannick Torlini est organique. Elle avance enroulée sur elle-même, se prolonge, revient, se déploie et se rétracte. Vivante et sensible au chaos qui l’entoure, elle y creuse les méandres de son avancement.
Lisant, nous sommes saisis par un fil qui explore notre labyrinthe. Que ce soit dans « les cuisines de l’enfer » ou « contre le mur des syntaxes », presque nous suffoquons, sensation induite par les reprises, répétitions et ruptures dans le texte, accentuée par une ponctuation décalée. Le point ne signale pas la fin de la phrase, les parenthèses se démultiplient, des flèches viennent renforcer ou contredire le sens, introduisant des recherches formelles dont le blog précédemment cité se fait le riche témoin.
En écho nous trouvons Ghérasim Luca, sur lequel Yannick Torlini a écrit une thèse. Ils ont en commun l’usage d’une voix, d’une oralité, mais tandis que Ghérasim Luca procède à une déstructuration de la langue par l’oralité, Yannick Torlini travaille sa malangue par l’écriture. Orale dans ces effets de répétitions, de ruptures de rythmes et d’une syntaxe décalée, elle est fortement écrite par le déroulé du texte, les recherches qu’elle révèle dans la durée et l’obstination.
Cette écriture du corps pourrait aussi nous faire penser à Bernard Noël :
« Précarité du rôle ? on récite son corps. »
Mais là où Bernard Noël fait œuvre d’un corps individué, Yannick Torlini développe un corps commun, compréhensible par tous : les réfugiés dans Nous avons marché, les ouvriers et travailleurs de Camar(a)de, une femme dans Un matin tu t’es assise. Il s’adresse à nous dans un vocabulaire toujours accessible, désacralisé, et capte les émotions qui nous traversent au quotidien dans une écriture de l’empathie, produisant des textes de résistance par une résistance de l’écriture.
Et « Tandis qu’eux dehors nous taisent du dedans du fond de chaque nuit recommencée (eux dehors)… »
Roland Cornthwaite, 2015
Lire les notes de lecture consacrées à Yannick Torlini dans La gazette des lycéens 2015