James Sacré
« James Sacré, une œuvre majeure en mode mineur. »
Majeure, pas seulement parce qu’abondante, mais parce qu’ayant ouvert de nouveaux espaces dans le champ de la poésie contemporaine, ayant aidé à jeter sur le monde un regard neuf et fait entendre une voix tout à fait singulière. Une œuvre également qui s’est imposée sans tapage, lentement, discrètement, « écologiquement ». Une voix en mode mineur, loin de toute emphase, de toute idéalisation (rien à voir avec la profération sacrale et le ton élevé). Une poétique de la notation, du simple carnet de notes. Une
attention aigüe au sensible, à ce qui est le plus
quotidien ; à l’insignifiance de notre condition. Mais en même temps, comme une basse continue, une pensée insistante, insinuante, de l’existence affrontée au temps – au temps qui s’en va. Une poésie pensante assurément, mais autrement, bien loin des avenues habituelles de la pensée (de la pensée installée). D’où parle en effet James Sacré ? Depuis le monde paysan. Je ne voudrais pourtant pas l’y réduire. Car il ne s’agit pas d’exalter je ne sais quelle ruralité, de chanter un terroir, et encore moins de célébrer une terre qui ne mentirait pas. C’est d’une paysannerie universelle, sans frontières, qu’il est question dans cette poésie. Mieux : bien au-delà de la seule sociologie, ce qui importe, c’est le questionnement, à la fois anthropologique et poétique, d’une « plouquerie » qui partout affleure dans la condition d’homme. Une poésie « objectiviste » à la façon des poètes américains. Mais s’il y a les objets, il y a aussi les gestes. Là où Ponge prenait, contre l’humanisme mou, le seul parti des choses, James Sacré lui, autant qu’aux objets dont les hommes ont (ou non) l’usage, s’attache à ces humains eux-mêmes, en toutes les dimensions de leur existence, des plus essentielles aux plus triviales. Poésie tournée vers le monde, de plain-pied avec lui ; poésie « naïve », abondante en notations sensibles et autres jaillissantes épiphanies, manifestant un sens aigu de l’étonnement, du tremblement de vivre ; s’incarnant dans des gestes de langue toujours eux-mêmes entés, en leur tâtonnement, sur l’incertaine expérience d’exister, son côté à jamais aléatoire et non finito. Mais aussi poésie « sentimentale » (réfléchissant sans cesse sur le peu de pouvoir des mots). Car toujours la diction des êtres et des choses se fera « compte tenu des mots ». Jamais n’est oubliée la leçon pongienne voulant qu’au langage il n’y ait pas lieu de faire indûment confiance. Nulle vulgarité, nulle singerie d’un supposé parler populaire chez James Sacré. Néanmoins, l’affleurement souvent d’un lexique d’origine paysanne et une constante torsion du beau parler, rappelant que toute langue, aussi académiquement pure qu’elle se prétende, plonge ses racines dans la souille des parlures ordinaires. Plus largement, un discret renversement carnavalesque des représentations mensongères (enjolivées, lénifiantes) qui sont proposées de la réalité par l’idéologie dominante.
Quant au principe pastoral (le principe qui veut, selon moi, que la poésie soit expression d’une fondamentale appartenance à la Nature, à la phusis), il prend, souvent chez James Sacré la forme de notations paysagères. Mais ce n’est pas le paysage idéalisé des pastourelles avec bergers et pâturages. C’est celui, au contraire très prosaïque, bien réel, de cultures précisément nommées et de paysans qui s’en vont « chier » au bord des haies. C’est donc ici de « contre-pastorale » qu’il faudrait plutôt parler.
Jean-Claude Pinson, 2016
Extrait de la lecture de James Sacré, le 9 novembre 2016 au lieu unique :