Chantal Neveu (poète québécoise)

Chantal Neveu © Phil Journe

Chantal Neveu, écrivaine et artiste interdisciplinaire, habite à Montréal. Elle a publié cinq livres de poésie La vie radieuse, coït et mentale aux éditions La Peuplade, Une spectaculaire influence (l’Hexagone) et èdres (É=É).

Elle collabore à de nombreux projets littéraires interdisciplinaires et intervient régulièrement dans des universités au Canada et à Québec.

« Depuis 2012, elle est membre du groupe de recherche et création Stratégies artistiques de spatialisation du savoir où elle poursuit son expérimentation basée sur le scriptage — une méthode de notation « en présence » et « sur place » — qui participe du passage de l’oralité à l’écrit à la faveur d’une recherche sur la composition mixte de la langue, une poésie littérale, nombreuse et polysémique. » peut-on lire dans une de ses biographies.

Sébastien Dulude, dans la revue Lettres Québécoises intitule un article à propos de La vie radieuse « Intégrales et dérivées », utilisant un vocabulaire mathématique du domaine de la géométrie et décrivant dans notre univers tout ce qui englobe, enveloppe (intégrales) et les lignes de tangente ou vecteurs de force (dérivées).

Ceci pour dire à quel point l’écriture de l’auteure embrasse large, et que son domaine d’intervention est difficile à borner, sinon au sens de la littérature.

Ce serait une écriture du « je », non pas limitée à un en-soi mais ouverte à la multiplicité des liens qui nous unissent au monde, répondant à ces mots de Roland Barthe « définir la Poétique comme la sphère des vibrations infinies du sens, au centre de laquelle est placé l’objet littéral » dans « les planches de l’encyclopédie ». (in le degré zéro de l’écriture).

C’est aussi une écriture liquide dans sa façon d’épouser – au plus près – la forme de l’instant dans une fonction haptique, les mots touchant les éléments qui composent le maintenant, l’ici, à ses différentes échelles, de l’atome au cosmos. Non pas dans la tentative d’épuiser une totalité, mais plutôt de proposer un recouvrement parcellaire, par juxtaposition, qui permette au lecteur de reconstituer aussi bien le paysage que les fonctions corporelles (respiration, motricité, mouvement – particulièrement la danse) tout autant que des effets intimes, avec une vivacité et une fluidité qui soient à même de contenir l’intention avec toutes ses potentialités.

Camille de Toledo dans l’introduction à son essai Les potentiels du temps écrit : « Il manque à ce monde un principe d’expansion. / C’est ce principe que la pensée potentielle cherche à établir, à toutes les échelles de nos existences individuelles et collectives. »

Les poèmes parlent de la vie et de comment l’auteure l’habite, possédée et dépossédée, saisie et dessaisie, portant ses contradictions, œuvrant à ouvrir le réel. Ils sont fortement spatialisés sur la page.

Dans coït, neuf textes constituent une partition. Dans la première partie nous lisons une composition orchestrée en neuf tubes recomposant les textes que nous trouverons dans leur unité en deuxième partie. Il est alors possible de reprendre une lecture personnelle, d’inventer parmi les possibles, d’errer entre les colonnes et les mots, sans épuiser ni les sens ni les rythmes. Le quatrième tube ne contient pas de texte. Il intègre une zone de silence, une amplitude de respiration dans la danse des corps. Nous étions prévenus : « Des corps allant ensemble. / « Aller ensemble », cum et ire – coït. / Dans les tubes, visibles et non visibles des corps, dans les corps, entre les corps. Avec. »

Dans mentale, déjà le titre nous indique un des processus à l’œuvre dans l’écriture. mentale, un adjectif, au féminin, isolé, qui pourra s’entendre dans une polysémie possible, une vibration. Les mots souvent juxtaposés en colonnes forment une suite logique, musicale et rythmique. Sur une polysémie, accentuée dans la vie radieuse par l’isolement d’un mot sur une seule page, nous bifurquons dans une nouvelle suite, dans un glissement continu sans rupture.

« avec le magma // feu // quelqu’un est mort // une personne un animal // … des lemmes*/ pour augmenter le réel. » in La vie radieuse.

Dans un entretien avec Annie Lafleur, poète et critique d’art, Chantal Neveu écrit : « C’est l’interstice qui permet la dynamique de l’adjacence. » puis précisant cette pensée elle ajoute « …l’action fertile de l’ellipse au sein de la continuité, le vibratoire dans l’écart, cette frange de potentiels que je m’amuse à appeler « la faille delphique ».

Dans èdres nous lisons : « tenter de dire ce qui n’est que, tout ce qui / les mots les gestes, tu appartiens au langage »

Enfin, il ne faudrait pas finir sans passer à côté de l’essentiel, cette « vie radieuse » à laquelle nous convie Chantal Neveu. Car après ces lectures, il reste un sentiment profond d’immersion et de cohésion dans le vivant, la vie :

« ainsi nous sommes reliés » p.199

« ne nous désistons pas des mutualités // il est bon d’être dans le don // nous ne nous appartenons pas / nous appartenons à l’ensemble » p. 213 – 215

« je m’émerveille / est-ce la vie ? // radieuse » p. 134

* (forme canonique d’un mot, voir entrée, précise le dictionnaire)

Roland Cornthwaite, 2017

 

Extrait de la lecture de Chantal Neveu, le 26 avril 2017 au lieu unique :

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