Jean-Charles MASSERA

Jean-Charles Massera par Phil Journe

Longtemps, Jean-Charles Massera a fait dans la délocalisation. Venu du champ de l’art contemporain, il est passé dans la littérature au milieu des années 1990 pour y produire une série de textes construits sur ce principe générique : prenez des morceaux de phrases, énoncés économiques ou sociologiques, polis et repolis dans la bouche des experts, puis dépaysez-les, envoyez-les au milieu d’autres phrases qui racontent de toutes autres histoires. « Dans le dilemme qui oppose l’imaginaire de la région Centre à celui de l’union européenne, les petits hameaux ne parviennent pas à convaincre les investisseurs. […] Les effets de la mondialisation heurtent aujourd’hui ceux qui veulent rester dans des bleds comme Sancoins, Vierzon ou même Issoudun. Une boîte où tu peux même plus être sûr que tu s’ra là en septembre peut-elle répondre à cette inquiétude ? » Hors sol, privées du cadre où elles sont d’ordinaire prononcées (comme des bouches qui les prononcent), ces phrases flottent dans le vide, à nu. Elles apparaissent pour ce qu’elles sont : des trucs cyniques. En effaçant les bouches, on voit mieux les dents.

Ensuite, au cours des années 2000, Jean-Charles Massera est progressivement passé hors littérature – du moins, hors du livre imprimé. Il a conçu des séries radiophoniques, esquissé des chansons, fait des images et des expositions. Il est possible qu’il ait toujours fait tout cela à la fois : théorie, arts, lettres, sons et autres, ensemble, un champ injecté dans un autre. Délocalisation générale – avec sa contrepartie, une relocalisation permanente. Alors, il s’est relocalisé.  Il a regardé où il était, ce qu’il faisait, devant qui et ce que cela produisait. « Les salles de spectacle dans lesquelles se produisent ce à quoi j’ai un peu participé en tant qu’auteur […] sont exclusivement remplis de visages blancs, de visages pâles, comme si j’étais cloisonné, condamné à ne m’adresser qu’à une bourgeoisie blanche occidentale et que les autres auditeurs, auditrices, lecteurs, lectrices m’étaient interdites. »


Voilà pour le milieu proche, première relocalisation. Mais on peut se relocaliser sur encore moins qu’un milieu. Dans un temps où les individus apparaissent déliés, libres de dériver sans qu’aucune institution, ni mariage, ni famille ne les rattache, il ne leur reste plus qu’un lieu où s’ancrer : leur propre corps. Chez Jean-Charles Massera, l’aspiration au corps prend la figure d’un double : Jean de la Ciotat, coureur cycliste en catégorie amateur et qui tient fermement à ce lieu. « Rouler est un vrai bonheur, et ce vrai bonheur qui s’origine dans mon corps mal entretenu, […] de la paume de mes mains à la plante de mes pieds qui essayent tant bien que mal d’actualiser à chaque rotation une sensation de liaison au sol – ce vrai bonheur, dis-je, échappe au langage articulé. »
À l’image du vélo, le travail de Jean-Charles Massera ne semble adhérer aux lieux qu’il traverse ou à leurs énoncés qu’à condition d’y trouver une route qui conduit au-dehors. D’où le côté finalement paradoxal d’une œuvre qui s’affirme à mesure qu’elle se conteste elle-même, d’autant plus présente qu’elle se voudrait déjà ailleurs – hors classe.

Frédéric LAE

 

Lire les notes de lecture écrites par les lycéens dans La Gazette des Lycées 2018

Diaporama commenté de et par Jean Charles Massera, présenté lors d’une soirée intitulée « Démocratie : la poésie pour ré-investir le commun ? ».
À l’occasion du festival MidiMinuitPoésie #18, organisé par la Maison de la Poésie de Nantes. Enregistrée vendredi 12 octobre 2018 à Cosmopolis (Nantes).

« L’aveu de Nantes », solo de Jean-Charles Massera, lors de MidiMinuitPoésie #18, samedi 13 octobre 2018. Enregistré au lieu unique, Nantes.

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