Ann LAUTERBACH (Etats-Unis)
Née à New York , Ann Lauterbach est poète et essayiste ; elle a publié plusieurs livres de poèmes, travaillé dans des galeries d’Art – à Londres et New York.
Dans le recueil Alice en terre vaine et autres poèmes, traduit par Maïtreyi et Nicolas Pesquès, plusieurs poèmes – écrits entre 1997 et 2013 – et accompagnés par l’éclairante post-face de Nicolas Pesquès. Le dernier de ces poèmes a pour titre « Tache : Ouvrir », alors ouvrons // Ouvrons le recueil… sur un long poème en prose, dont le titre hybride « Alice en terre vaine », évoque Lewis Caroll et TS Elliot… Alice « tombe en bas des marches, dans un bain de mots », elle y rencontre toute sorte d’animaux. Quand une Voix, venue d’outre-temps, tombe, … les questions d’Alice pleuvent – j’en ai compté 128 ; de cette prose poétique, naîtrons larmes, rires et réflexions…
« Tache : Ouvrir », alors ouvrons sur le texte suivant : « un clown, des couleurs, une poupée, ses aventures, une chanson, une critique au clair de lune » ; titre en forme de liste, où dialogue un pantin et une poupée…
Extrait : « De là, on observe // le ciel, bien que les rideaux soient tirés » – VOIR / SE VOIR / SAVOIR
« Tache : Ouvrir », alors ouvrons… sur 3 autres poèmes, plus resserrés, faisant écho aux œuvres de l’artiste « land-art » : Robert Smithson, écho à Giotto, et comme nous l’entendrons, dans quelques instants, écho aux « Triangles » de Malévitch…
Chez Ann Lauterbach, l’écriture se fait Art… plastique, elle se dilate, se contracte, s’agglutine puis de nouveau se diffracte…. La 4ème de couverture, nous invite à rattacher Ann Lauterbach à l’École de New York ; oui mais à condition d’en faire un « électron libre »… J’aime bien cette image d’électron… libre. Dans ces textes, l’auteure nous propose une « poétique de l’expérience », oscillant entre onirisme et réalisme, passant de prose en poésie, rebondissant entre pensée et réflexion, lecture et écriture, fiction et témoignage. Alice interroge la Voix : « que lis-tu ? // Un poème // Rime-t-il ? // Non // Comment sais-tu si c’est un poème s’il ne rime pas ? // Tu sais qu’un poème est un poème comme tu sais que l’amour est l’amour »
Chez Ann Lauterbach, la pensée se matérialise en langage, qui lui-même s’endurcit à l’épreuve de l’écriture ; le parlé endosse l’armure de l’écrit ; et à chaque rebond de l’électron, la paroi est percutée, cognée (et) « comée »… l’espace entre les parois se déforme, se dilate, il s’ouvre… c’est dans cette ouverture qu’apparaît sa poésie…
« Tache : Ouvrir », alors ouvrons… sur le dernier poème du recueil, au titre éponyme.
Ce texte rassemble une quarantaine d’écrits, rédigés parfois en écho à ses auteurs de chevet : Emerson, Dickinson, Wiggenstein, Deleuse et Beckett …
Quand j’ai reçu le livre, aimablement prêté par le Maison de la Poésie, j’ai ouvert le livre, au hasard, et je suis tombé sur une double page, tâchée – doublement tachée. Suivant ces deux tâches, jumelles, se faisant face sur les deux pages, mes yeux ont suivi une ligne imaginaire (expérience de lecture de type : cut-up, entre les textes 37 et 38 ), ce qui a donné ceci :
« le mot séparé flotte dans l’air ; petit reste de conversation…. Arc fantôme, zippant la terre ; ouvre-le. »
« Si par exemple, j’aime un tableau de Philip Guston, Joe Brainard, ou d’Amy Sillman, cet amour est-il en partie animée du désir de le posséder ? Mais alors je dirais – avec John Dewey – que l’expérience est une forme de possession, quelque chose que l’on a en propre – j’éprouve de l’amour pour quelque chose ou pour quelqu’un et cet Amour est ce que je possède, pas son objet » …
Je vais, sous peu, redonner mon exemplaire à la Maison De La Poésie, je ne le posséderais donc plus… mais sans doute, resterais-je possédé, gardant l’expérience de sa lecture.
Alain MERLET
Extrait de sa lecture Alice en terre vaine lors de MidiMinuitPoésie #19