Jean-Marie Gleize
D’abord professeur de littérature, Jean-Marie Gleize a dirigé pendant dix ans le Centre d’études poétiques de l’ENS de Lyon. Depuis 1990, il édite la revue Nioques où sont apparus, par exemple, Christophe Hanna ou Jacques-Henri Michot. Il publie, depuis les années 1980, l’une des œuvres poétiques les plus radicales en France, formellement et politiquement. En guise d’avertissement, on extrait les citations suivantes du livre Sorties :
« J’ai besoin d’une certaine définition minimale de la poésie. »
« Je prétends que la poésie est sans définition. […] Poésie comme métier d’ignorance et, d’abord, de ce qu’est la poésie. »
« Je crois en la responsabilité formelle des écrivains. On écrit en toute connaissance de cause […] Le moindre vers est, en effet, un acte qui situe celui qui l’écrit en un point déterminé. »
« J’ai besoin d’une certaine définition minimale de la poésie comme la seule pratique verbale, littéraire, échappant aux contraintes ou aux dogmes de la représentation. »
« Je crois (vouloir) (pouvoir) participer à la mise en œuvre et à la mise en forme de cette question : y-a-t-il quelque-chose après la poésie ? La poésie comme pratique de cette question-là. »
Sorties est un livre dense, un livre de théorie, un livre de discussion avec les œuvres d’Arthur Rimbaud ou de Francis Ponge. Si l’on retient ces citations, c’est pour les écarts qui se font jour entre elles : poésie vue comme une ignorance, mais qui engage la responsabilité déterminée de l’écrivain ; poésie vue comme une pratique verbale, littéraire, et, en même temps, comme pratique de son dépassement… Contradictions apparentes – qui valent, donc, comme des avertissements : en aucune manière elles ne constituent des questions (et encore moins des reproches) adressées à l’auteur, sommé de reboucher à la hâte les fissures qui lézardent son édifice théorique. Le prix du travail de Jean-Marie Gleize tient à sa rugosité, et cette rugosité tient à ses brèches, lesquelles signalent moins un vice de construction qu’une méthode effectivement à l’œuvre. Cette méthode, le titre du livre la résumerait d’un mot, « sorties » : sortie du genre étroit de la poésie, par injection dans les livres de matières hétérogènes, dépôts, photographies ; sortie de la clôture du livre, certaines parties d’un livre pouvant être rejetées vers un autre (l’ouvrage Circonstances prolonge l’ultime séquence de Léman, l’ouvrage Néon, répond au livre Non,) ; sortie, enfin, entendue comme intervention polémique ou comme adresse amicale à Claude Royet-Journoud, à Emmanuel Hocquard, à Anne-Marie Albiach.
Mais, si le terme de « sortie » peut qualifier certains aspects du travail de Jean-Marie Gleize, sans doute est-il abusif d’en faire la seule clef d’une œuvre plus soucieuse de sa vitalité que de sa cohérence méthodologique. Jean-Marie Gleize reste attentif au monde contemporain. Il sait s’adjoindre de nouveaux territoires, comme lorsqu’il intervient avec le vidéaste Eric Pellet, dont le travail sur les matières documentaires prolonge les visées réalistes du poète avec une délicatesse d’autant plus grande qu’elle est, ici, inattendue.
Jean-Marie Gleize ne suit pas de programme. Ses « sorties » sont autant de pointes, ses livres sortent tout armés. Voilà une œuvre hérissée, à l’image de ces bâtiments toujours ouverts, jamais finis, et dont les fers dépassent encore. C’est tout sauf une tour d’ivoire. C’est construit pour y loger des luttes, des rêves et des partisans :
« Il faut construire des cabanes dans les arbres
faire de chaque étage un poste de tir »
Présentes dès le livre Tarnac, un acte préparatoire (dédié en 2011 à Julien Coupat et à ses camarades incarcérés préventivement car suspectés de sabotage), ces cabanes pourraient bien ressembler à ce qu’est la poésie pour Jean-Marie Gleize : toujours plus qu’une fenêtre, toujours moins qu’un abri.
Frédéric Laé, 2015