Laure GAUTHIER
Laure Gauthier « vit et écrit à Paris. Elle écrit des textes poétiques, des récits et des essais. », peut-on lire sur son site personnel.
Elle a publié quatre livres, et bien plus, car elle travaille aussi aux différents rapports entre la musique contemporaine et la poésie, ainsi qu’à des installations.
kaspar de pierre est un écrit poétique documenté. Il suit la chronologie de l’histoire de Kaspar Hauser, arrivé à pied sur la place de Nuremberg, le 26 mai 1828. Cette affaire a alimenté la presse naissante et tenu en haleine toute la bourgeoisie de son époque et bien au-delà par le mystère qu’il représentait. Laure Gauthier en fait sa voix principale, le fait parler soit en conservant le verbe mais sans sujet soit en utilisant « jl » qui serait une forme hybride entre « je » et « il », pouvant signifier cette identité énigmatique. Le texte souvent en vers mais parfois en prose courte intègre un lyrisme sans affect, à contrepied du romantisme qui a fait naître le mythe. L’ensemble est composé de différentes sections jalonnant la vie de kaspar. Deux pages, « Diagnostic 1 » et « Diagnostic 2 », sont constituées de textes médicaux bruts, sans modification. « RÉSUMONS-NOUS : », le dernier poème, reprend des vers de chaque texte, en caractères gras dans le corpus, et constitue une rapide chrono-biographie poétique de kaspar.
En collaboration avec la compositrice Núria Giménez-Comas, elle réécrit ce texte pour en faire un drame musical : Back into nothingness, explorant les rapports entre poésie et musique et poursuivant le travail de rythme et de prosodie déjà présent dans ses écrits.
Je neige (entre les mots de Villon), est constitué en diptyque : Je neige, la première partie, est clairement identifiée comme poésie et en reprend les codes. Le texte est très aéré et se décline en vers libres, courts, le plus souvent.
Différentes voix s’y distinguent, dont celle de Villon. De ces voix mêlées se dégage un sentiment très intériorisé, ce serait l’intime de Villon avant ses mots. Souvent ceux de Laure Gauthier font résonner une corde en nous, sans qu’il soit facile de dire où et en quoi. « Suis sans arbre à la vie sans ombre » ou cette figure de l’exil : « je marche / dans le blanc / à toutes les angoisses ». La deuxième partie, (entre les mots de Villon), est un texte en prose qui tente d’expliciter la démarche engagée dans les poèmes. Ce n’est pas tout à fait un essai, ce n’est pas non plus une justification, peut-être Je neige joue les prolongations, comme une voix supplémentaire. Elle creuse les différentes approches de l’œuvre et de la vie de François Villon par ces prédécesseurs, explore cette littérature abondante, trop bavarde et trop conjecturelle.
Laure Gauthier, dans ces deux livres, explore les faits, et interroge en nous les mythes que les médias anciens ou contemporains ont forgés. Concernant un livre à venir dont des extraits ont été publiés dans différentes revues (Les corps caverneux), elle invite à sa table de travail d’autres auteurs pour ensemble comprendre le phénomène de la « fait-diversification » et en quoi la poésie peut « rendre compte de la violence de l’attaque faite à la langue »*1. Cherchant à déplacer le regard, multiplier les perspectives, échapper au main-stream et tenter « d’entendre les questions non résolues et vivantes du passé qui font signe vers l’avenir »*2. « Or, la poésie est pour moi un film du hors champ »*3, écrit-elle encore (entretien avec Caroline Guth).
*1 à *3 les références sont tirées d’articles parus sur remue.net. Des extraits du texte « Les corps caverneux » sont parus dans différentes revues dont Babel Heureuse N°4 – automne 2018.
Roland Cornthwaite
Extrait de sa lecture lors de la soirée du jeudi 5 décembre 2019, en compagnie de Christophe Manon pour « Entre les mots de Villon ».