Marie Cosnay
« Ecrire avec la conviction, ou l’intuition, que l’un n’est jamais l’un, qu’une phrase cache une phrase, qu’une parole ne se résume pas à une parole, que quelqu’un n’est pas ce qu’il semble être ou veut montrer qu’il est, ne dit pas tout à fait ce qu’il dit qu’il dit. »
C’est par ces mots que Marie Cosnay commence un article publié en août 2015 sur l’un de ses blogs. Elle écrit et publie depuis une quinzaine d’années.
Que ce soit Stendhal dans Vie de HB, tous les acteurs de la Commune – À notre humanité, ou les migrants de Comment on expulse, chaque vie est une somme que rien ne résume, un assemblage.
Les personnages sont saisis dans un faisceau de faits, sensibles, animés. Mouvements, désirs, sentiments et passions, cependant tenus à distance de l’émotion, dans la fiction du réel, là où il est encore possible d’agir, hors des larmes.
Marie Cosnay écrit après, après d’autres textes ou d’autres vies, qu’elle modifie, transforme, réécrit, triture.
Marie Cosnay écrit après, actualisant les textes sur lesquels elle s’appuie, parce qu’ils ont à nous dire, qu’ils sont des outils pour lire le monde, des clés pour comprendre que dans l’opacité où nous nous tenons, notre brouillard, ils peuvent nous aider.
Marie Cosnay écrit en intelligence, soit par étymologie, elle lit et choisit des textes, et entre ceux-ci lie l’ancien et le moderne, le proche et le lointain, avec cette faculté de franchir les temps et les espaces.
Marie Cosnay traduit des textes latins, l’Enéide de Virgile – sur remue.net, ou Ovide et ses Métamorphoses, aux éditions de l’Ogre.
Marie Cosnay s’interroge et nous interroge, dans un projet toujours politique : « Pas question d’imaginer écrire sans penser au monde qui n’est jamais commun, aux réfugiés, confondus et suppliants, dont on ne cherche qu’à couler, avant qu’ils atteignent une rive possible, les bateaux. Sans penser à nos quartiers, nos écoles et nos défaites. »
Marie Cosnay doute, de ses personnages, des faits, et surtout d’une certaine idée du réel que l’on nous fait avaler tous les jours disant : « en fait il nous faut une sacrée résistance pour ne pas s’éclater dans la boue de la métaphore… »
Marie Cosnay est passeuse de texte, d’idée, de forme, d’histoire, de langue. Elle croit au pouvoir inconditionnel du partage des mots « car toute vie c’est passer les mots, pousser les mots jusqu’au bout. »
Dans le texte les interstices, les failles, les fentes.
Dans le texte les cadavres, les viols, la violence, toute la violence avec laquelle nous avons à faire, qui nous est faite, contre laquelle beaucoup s’épuisent, meurent aussi, souvent.
Suivre comme une enquête. Accepter. Laisser l’invraisemblable – si vrai – nous toucher, nous conduire à refaire du lien, du lire entre, et savoir que l’on a vu « Que ce que je vois n’est pas ce que je vois », saisit d’un vertige, non sans rappeler celui dont parle Camille de Toledo : « Nous pensons à un état de vertige où nous parviendrions à nous tenir dans un repère de coordonnées mouvantes, de migrances, d’instabilités de genres, d’états, de langues. »
Sur le blog cité précédemment, Marie Cosnay poursuit :
« C’est tout en déplacement, atomes en circulation et passion des surfaces – c’est le domaine du doute absolu et des temps mêlés, des pronoms déglingués changeant de personnes… »
Roland Cornthwaite, 2017
Extrait de la lecture des Métamorphoses, d’Ovide, traduction de Marie Cosnay, jeudi 5 octobre 2017, au lieu unique :