Guillaume Condello

Guillaume Condello -c- Phil Journe

Encadré par deux textes « intran(s) » et « Exit », Alexandre donne d’emblée le ton.

Ce seront 35 hymnes recomposant une lecture du monde, depuis les origines jusqu’à nos jours, brassant les mythes et le présent.

« qui saura dire cela » (p.9), ce seront des mots, ou peut-être un livre, avec un début, dieu ou homme devant un peuple, portant des sacs, et déjà seront là « les colonnes de la pestilence », toutes les colonnes, la même, de guerriers, de fuyards, de conquérants et de vaincus.

Et déjà ce sera un nom, à vivre ou à perdre, animal ou homme, quelle différence devant la machine qui se nourrit de sang ou sur la terre ou l’on accoste ayant perdu la langue. Mais hors le titre du recueil, aucun nom ne sera donné, ni de lieu ni de personne. Tous resteront dans l’indifférencié, une géographie universelle habitée d’hommes et de femmes, d’animaux et de chiens. Alors, le poète sera tour à tour prêtre, shaman, devin, ou prophète arrivant un livre à la main, ou une loi, ou une histoire, nulle, car au bout du compte l’histoire restera celle des vainqueurs. Parfois un guide ou une pythie livre un geste, une parole et « ils comprenaient / ce qu’elle disait » p.79

Guillaume Condello explore, il explore les ruines de notre monde, les assemble avec d’autres ruines, anciennes et illustres, rafistole des bribes entre lesquelles restent des vides, des interstices, dans lesquels le lecteur pourra circuler. En cela le chant, écartelé, ne sera pas une suffocation.

Il dira un chaos, présent, les néons, les supermarchés, les caddies, les aires d’autoroute. « c’est la zone regarde / comme c’est beau » (p.11), puis le livre se refermera sur lui-même, redonnant force aux mots, aux textes, à la littérature ; « et les machines / au travail obstinées / entre les colonnes de plastique / dans les zac / bucoliques / regardez infinies / comme c’est beau / un hymne » p.182

Entre ces deux textes, toute une progression, depuis une cosmogonie avec mythes fondateurs «comment naissent les peuples » jusqu’à l’homme moderne, « du fait de sa transformation en / animal / séparé / pendant le procès de la production » p.152

Entre des îlots de sens parfois bancals, nous errons dans les silences des morts, les tombes des vaincus et les femmes asséchées. Un prêtre prend soin des mots des morts, de leurs paroles et de leurs noms secrets et « chante … pour les pierres qui écoutent » p.146.

Le discours est vain, frappé de nullité. Au fil des temps l’interprétation l’a rendu creux, l’usure des mots l’a vidé de son sens. « il faut / des mots / nouveaux / pour dire » (p.70 – Les Travaux et les jours).

Guillaume Condello invente une langue pour un poème qui puisse rendre compte de notre présent. C’est une langue sensible partant d’un fond commun et des invariants que véhicule notre culture. Une langue qui ne parle pas de ce qu’elle ignore mais qui, par des blancs, révèle nos propres ignorances, par des manques dit les nôtres, une langue dans laquelle nous sommes impliqués, avec « la justice sous la cendre », les murs et « les grillages tordus » (p.94) qui nous séparent.

Nous serons unis sur la même île, liés par une humanité commune, et nous serons séparés par l’ignorance de la langue et l’ignorance des noms, nous serons comme des animaux errants d’un côté ou de l’autre, dans la ville ou dans la zone, et pourtant, tous « ils cherchent / un passage / le lieu où / naître un chant / une histoire » (p141 – Les Travaux et les jours).

Dans un entretien sur le blog de Pierre Vinclair l’auteur n’hésite pas à parler de fragilité, de dissonances, d’une langue monstrueuse : « Je crois que cette question de la fragilité est indissociable de celle de la dissonance, parce qu’une voix qui travaille à être inactuelle, qui tente de désarticuler la langue et la supposée tradition pour les recomposer suivant des lignes nouvelles, qui tente de trouver des fissures et des lignes de fuite dans le présent, par lesquelles pourraient remonter des bribes du passé, ou laisser fuir des morceaux pour un aperçu sur autre chose (quoi ?), une telle voix est nécessairement monstrueuse. »

Guillaume Condello, né en 1978 à Nice, est professeur de philosophie. Il participe à des revues et écrit aussi des textes critiques en partenariat avec une galerie de Bordeaux. Il a publié deux livres aux éditions du Dernier Télégramme Les travaux et les jours en 2012 et Alexandre en 2016.

Roland Cornthwaite, 2017

 

Extrait de la lecture de Guillaume Condello au lieu unique le 18 janvier 2017 :

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