Sandrine CNUDDE
Dans une video d’avril 2020 (époque pas si lointaine où nous découvrions les joies du confinement), Sandrine Cnudde, depuis chez elle se présentait comme une photographe et poète en marche ! C’est à dire constituant une œuvre à partir de voyages à pieds.
Comme dans la chanson de Manset, elle voyage en solitaire, prend des notes, enregistre des sons, et photographie. C’est là le préalable des livres à venir. La marche est conçue comme une performance. Chaque livre est, selon ses propres mots, « empreinte d’un voyage ». Et, à chaque livre, il est possible d’associer un pays traversé. Les pays du grand nord, pour Le vide et le reste. La Lozère, pour Patience des fauves. La Corrèze pour Habiter l’aube, ou encore Les Pyrénées, pour Gravité/Gravedad, le Groenland pour Dans la gueule du ciel.
« Dans le vide et le reste, dit-elle, je mesure mes pas, mes mots, mes images, aux troubles horizons du rêve ». Mesurer, c’est précisément la fonction de l’arpenteur. Rendre compte le mieux possible de la réalité d’un paysage par de très précises mesures. Mais il est des réalités inaccessibles aux chiffres. Seuls les marcheurs lents et rêveurs, attentifs aux bruits comme aux silences du monde, sont prêts à saisir l’inattendu dans le réel, à voir soudain le caché. Le poète est un voyant (on le sait depuis Rimbaud), mais aussi un arpenteur supérieur.
Habiter le monde en poète, c’est marcher en poète. On peut qualifier ce travail de poésie en marche, ou de marche pour la poésie. De ce geste-là, naissent les mots, et l’appréhension du monde, sa connaissance intime. On pourrait reprendre la belle expression de Nicolas Bouvier, et dire que cette poésie de voyage est « usage du monde ». Ajoutons que Sandrine Cnudde ne traverse pas les paysages la tête dans les nuages, et que rien ne lui échappe des maux de notre monde : ni la désertification, ni le réchauffement, ni la souffrance des peuples, ni le basculement violent des sociétés ancestrales.
Cette démarche, ou plutôt marche, est, me semble-t-il assez peu répandue dans le monde poétique contemporain. Elle s’inscrit pourtant parfaitement dans le questionnement écologique actuel.
Chaque livre est donc le fruit d’une immersion totale, qui suppose quelques prises de risques. L’objet livre achevé est un ensemble varié, de poèmes et de photographies, de relations de promenades, de choses vues et de dessins. Tout ceci procure un vif plaisir à la lecture, nous invite à accompagner Sandrine (même si de loin) sur ses grands chemins. Elle est de plus une auteure généreuse, une voyageuse qui va au-devant des autres. Son blog, excellent et très bien tenu, en témoigne. « J’irai lire des poèmes chez vous », peut-on y lire.
Présentation d’Alain Girard-Daudon, lors de la soirée « De la Poésie comme écologie », mars 2022.
Extrait de la soirée « De la Poésie comme écologie » le 2 mars 2022 au lieu unique.