Claude Chambard
Marcel Proust, après Gustave Flaubert, refusait qu’on s’intéresse à sa vie comme il refusait qu’on s’intéresse à la biographie de tout écrivain, pour ne s’en tenir qu’à son œuvre. C’est le propos de Contre Sainte-Beuve. « L’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon, dit Proust, n’est pas la même personne ».
Face à cette position rien de moins que radicale, mon ami le peintre Alain Le Bras m’avait ouvert les yeux. « Rencontrer un artiste, disait-il, fait preuve par neuf. » Tant qu’il est vivant, pourquoi ne pas en profiter ? Car même si la qualité d’un homme ne garantit pas absolument la qualité de son œuvre, elle dispose plus justement à sa perception. L’inverse est également vrai. Un homme qui ment, qui triche ou qui pose n’augure guère d’une œuvre vraie.
Voilà pourquoi j’ai été heureux de rencontrer Claude Chambard, de converser avec lui, souvent à distance, certes, et d’observer la façon dont il échange avec ses amis. Très simplement, l’homme que je connais est curieux de tout, érudit, gros lecteur, attentif aux autres et généreux. Et la « preuve par neuf », c’est que ses textes lui ressemblent. Poète et prosateur, il est aussi traducteur (citons Abdallah Zrika que la Maison de la Poésie de Nantes a eu plaisir à recevoir), préfacier d’une autre invitée de la Maison de la Poésie, Édith Azam), chroniqueur littéraire, typographe et éditeur.
Venons-en donc à l’œuvre.
Dans une nouvelle comme La Dormition, l’écriture de Claude Chambard apparaît telle qu’en elle-même, toute de maîtrise et d’élégance. Dans le livre moins classable Tout dort en paix, sauf l’amour, dont nous allons écouter en lecture-concert une « fantaisie et drame », le poème, ici et là, s’invite dans une prose alternant ou mêlant les formes écrite et orale, entre grâce et trivialité. Le rythme est soutenu, musical et vigoureux (on pourrait oser viril), d’un texte narratif qui bouscule la chronologie, comme elle se bouscule dans la mémoire, pour évoquer, avec une émotion sans sensiblerie et une sensibilité sans plainte ni pathos, une enfance bouleversée, dominée par la figure récurrente de Grandpère. Le narrateur et, partant, l’auteur, attentif aux paysages et aux personnages comme à leurs bruits, à leurs lumières, à leurs brillances, à leurs odeurs et à leurs mémoires, manifeste une curiosité toujours en éveil, aiguë, ouverte à tout, qui se nourrit, comme on cherche un salut nécessaire, de littérature, de peinture et de musique. Mais l’écrivain, dans ces pages, se montre fragile, sans fard, en proie à ses doutes, limité à des tentatives ou avouant, ici, là, ne pas savoir face, par exemple, à la difficulté de traduire, craignant de se perdre dans une langue intraduisible.
Sylvain Meillan accompagne Claude Chambard au violoncelle. Ayant découvert très tôt l’orchestre, le plaisir des petites formations ne l’a jamais quitté. Depuis plus de dix ans, sans renoncer à la pratique du répertoire classique, il pratique la musique Klezmer et les musiques traditionnelles et tziganes d’Europe de l’Est qu’il explore en étudiant la gadulka (violon traditionnel bulgare). Ses activités ont toujours été diverses : concerts, créations pour ou avec le théâtre ou la danse, présence au pupitre des violoncelles pour des opéras et des programmes d’orchestre, participation à des enregistrements studio pour différents groupes (rock, chanson, musique improvisée), etc.
Au fil des créations, Sylvain Meillan se questionne sur ce qui lie ou délimite les différentes disciplines artistiques, se consacrant au travail « de plateau » en dialogue avec comédiens, danseurs ou auteurs. Ainsi, sa musique tisse-t-elle des relations étroites entre composition et improvisation.
« Écrire c’est passer des frontières. Illégalement. » dit Claude Chambard dans « ce livre sans fin qui est un nécessaire malentendu ».
Bernard Bretonnière
Lire les notes de lecture consacrées à Claude Chambard dans La gazette des lycéens 2015