Bertrand BELIN
Ce matin, partant au Lieu Unique
Dans la voiture je lance la playlist Belin
En mode aléatoire
J’écoute Choses nouvelles, Peggy, Un déluge, Porto…
Puis survient cette chanson moins connue extraite de l’album Parcs
Pauvre grue
J’arrive au Lieu Unique, bouleversé
Je n’ai pas tout compris dans cette chanson, mais je suis bouleversé
Peut-on être bouleversé sans tout comprendre
Oui, mais c’est rare
J’ai éprouvé cela avec certains textes de Léo Ferré, ou de Bashung
Les chansons de Bertrand Belin sont à cette hauteur là.
Bertrand Belin est musicien, chanteur, écrivain, acteur. Quatre manières d’être, artiste, créateur. Quatre raisons enfin de nous réjouir de sa venue à MidiMinuit, un festival qui a toujours célébré la rencontre, le croisement, la fusion des pratiques artistiques.
Je pourrais ajouter qu’il est aussi lecteur,et qu’il cite dans ses interviews, Christophe Tarkos, Charles Pennequin ou Beckett, ce qui nous en dit un peu sur son paysage intérieur.
Bertrand Belin né à Auray (selon son éditeur), ou à Quiberon (selon Wikipedia), enfant de la Presqu’île en tout cas et pas si loin d’ici. Pour ce qui est de ses liens avec Nantes, où son grand-père fut, dit-on, batteur de jazz, on se reportera à la page 123 de Vrac : je cite
« Nantes est une ville en bout de train / C’est à Nantes que / mon grand-père vint et mourut. / Ma mère y vit le jour, / Y mourut. / Ma grand-mère y mourut./ Sa vie était le lavage par terre./ Les édifices ont des sols, / ces sols seront propres et nets. »
Il publie en 2005 un premier album éponyme. S’ensuivront cinq autres, La perdue, Hypernuit, Parcs, Cap Waller, Persona, qui ne feront que confirmer, sa place très singulière sur la scène française contemporaine. Une voix calme, grave, profonde, une nonchalance élégante, une forte présence scénique, des sonorités pop, électro, des textes étranges pour des chansons qui refusent délibérément toute facilité, un univers à la fois sombre et burlesque. Un critique a pu dire qu’il était le Nick Cave français. Je le vois pour ma part, proche de cette famille que nous aimons des Higelin, Manset, Bashung et Dominique A, Rodolphe Burger, Philippe Katerine ou encore Feu Chatterton, tous ces gens pour qui il n’est pas de frontière insurmontable entre chanson et poésie.
Et si il fallait une éclatante démonstration, on ira voir les quatre livres publiés à ce jour par Bertrand Belin, chez P.O.L. l’un des éditeurs les plus littéraires, les plus exigeants.
Requin, paru en 2015, Littoral, paru en 2016, Grands carnivores en 2019.
Enfin en 2020, Vrac, que nous allons entendre ce soir, un ensemble de textes brefs, qui ressemble beaucoup par sa forme, à un recueil de poèmes. C’est dit-il, un recueil de fragments écrits en quelques mois sans intention de les réunir, sans préméditation. Ce sont « des sortes de salves » ajoute-t-il, d’une écriture un peu brutale, qu’on laisse survenir, jaillir d’on ne sait où, à moins que ce ne soit des territoires de l’enfance. Car il y a bien là des fragments de souvenirs, pièces d’un puzzle qui, reconstitué, donneraient l’image d’un certain « bertrang » de la famille belin.
Vrac est une œuvre singulière, discrètement autobiographique, elle permet de régler quelques comptes avec le passé, tout en restant à la juste distance qu’autorise la grande écriture., celle qui sait se tenir, se retenir . Vrac est composé d’ énoncés, d’aphorismes et d’axiomes, de courtes séquences surgies de la mémoire, de scènes traversées par le père, la mère, un certain « grand professeur » (supplément d’énigme), des animaux et même François Mitterrand, des souvenirs de violence et d’amour naissant. Tout cela, en vrac.
Avec ce texte qui résonne si fort, Bertrand Belin s’affirme comme un écrivain qui compte, et surtout (mais on s’en doutait) comme un poète.
Alain Girard-Daudon
Extrait de la lecture-concert avec Thibault Frisoni du samedi 16 octobre 2021
Voir la table ronde « Choisir sa forme » avec Fanny Chiarello et Nii Ayikwei Parkes du samedi 16 octobre 2021 lors du festival MidiMinuitPoésie21 animée par Eric Pessan
Lire la Gazette 2021 écrite par les élèves du lycée Louis-Jacques Goussier (Rezé).