Une sorte de lumière spéciale

Maude Veilleux, L'Écrou, 2019

Dans Une sorte de lumière spéciale, le lecteur est invité à redécouvrir Maude Veilleux issue de Beauce, un milieu pauvre et ouvrier du Québec. Elle nous guide à travers les multiples univers qui sont les siens et d’où surgit une projection lumineuse sur son quotidien. Ce faisant, elle investit les zones de culpabilité, les endroits nostalgiques et profonds de son être toujours en détresse par rapport au monde. Par sa plume simple mais tranchante, Maude affirme vouloir changer le monde. Ardente et immodérée, il fallait qu’elle mette ses origines sur la table pour pouvoir affirmer sa volonté de changer le monde qui l’entoure. Ainsi c’est par la narration qu’il nous est proposé de rencontrer Maude. S’immisçant dans son intimité et ses pensées, le lecteur est amené à enfiler les bottes de celui ou celle « qui met, chaque jour, son corps à l’épreuve du travail » et à vivre le quotidien de la jeune poète qui met en lumière son modeste passé : « j’essaie de sortir de ma naissance ». Par cette pensée, Maude transmet de l’empathie pour tous, par tous. Son écriture est au contact permanent avec les émotions qui affectent notre lecture, en devient floutée par nos changements d’humeurs. Maude baigne dans une emblématique confusion avec une soif absolue de transcendance, s’approchant sans cesse de sa propre fin du monde. Cherchant à changer nos rapports de perception avec autrui, Maude pousse le lecteur à revenir à sa propre lumière, c’est-à-dire à ses origines, sans les bafouer, mais à donner le meilleur de soi-même, quoi qu’il en coûte. Une sorte de lumière spéciale est donc la confession d’une femme, mais également un encouragement à vivre une liberté dans ce qu’elle a de plus enivrante. Il faut lire Maude Veilleux avec sérieux, malgré son ton un peu décalé et explosif. Son dernier recueil est une poésie « no filters » où le lecteur est confronté à une authenticité époustouflante. Il est malmené puis invité à une réflexion sur l’importance de dire les choses pour peut-être mieux appréhender son futur grâce à la rétrospective de son passé.

Camille Moyon, médiatrice de la bibliothèque de la Maison de la Poésie de Nantes.

Une sorte de lumiere speciale - Maude Veilleux

Une sorte de lumiere speciale – Maude Veilleux

TROIS QUESTIONS À MAUDE VEILLEUX

Dans votre nouvel ouvrage, vous nous confiez votre rapport à vos origines. Pourquoi ressortent-elles à ce moment précis de votre vie ?

Je poursuis un travail déjà entamé avec mes précédents projets. Je crois à une parole située. Je voulais présenter ma position, ma naissance, mes origines, mes déplacements pour permettre aux lecteurs de comprendre mon angle littéraire. J’étais fatiguée d’être réduite au trash, un terme qu’on utilise souvent péjorativement même s’il s’agit d’un genre important, comme s’il n’y avait aucune réflexion derrière mon travail poétique.

Écrire sur mes origines me permet d’expliquer mon sentiment de n’avoir que la littérature comme outil de propulsion, puisque c’est par elle que je suis sortie de mon milieu et par elle que je vis.

Puis, je réponds à une critique littéraire québécoise qui tente de garder la poésie cloisonnée dans le canon. Je présente une langue furieuse, toute croche, oui, mais vivante. Il n’y a pas de mots ou de formes interdits. La poésie doit être libre, et elle appartient à tout le monde.

Quand vous dites « j’essaie de faire pauvre », est-ce pour vous déculpabiliser de l’émancipation que vous avez acquise par rapport à votre passé dans la Beauce ?

Oui, une honte de transfuge. La honte de renier ses origines pour accéder à un autre espace social. Si j’emprunte une langue, une posture ou des conventions qui ne sont pas les miennes, je me trahis. En revanche, si je performe les codes de la pauvreté, je ne suis pas honnête. Je ne reconnais pas les privilèges qui me sont maintenant accordés.

Dans ce poème, j’utilise le verbe anglais « belong » (que je québécise en « belongue »). Un verbe qui se traduit par « appartenir », mais aussi « être à sa place. »

Cette position de transfuge (le cul entre deux chaises) oblige à occuper deux espaces sans y trouver de sentiment d’appartenance. Je pose la question : où est-ce que je belongue maintenant ? Dans cette marge construite de frustration et d’inadéquation ? La réponse est toujours la même : je suis une poète. Le seul name tag qui puisse me permettre d’accéder à une chaise.

je dois expliquer mon expérience du monde

je dois tout dire tout le temps

rendre visible l’indicible

le matérialiser

car

si je perds le langage

je suis sans refuge

Par perdre le langage, j’entends deux choses. La première concerne la folie, un rapport pathologique à la construction du langage dans l’esprit (j’ai quand même arrêté de parler pendant deux mois à l’automne 2018). La fin du recueil traite de cette perte de sens entre le signifiant et le signifié. Perdre le signe =. Sans le langage, le monde se déconstruit, devient une abstraction.

La deuxième s’intéresse à la légitimité de ma parole. Si on m’enlève cette légitimité parce que ma poésie ne respecte pas le code de la bourgeoisie littéraire, on réduit mon travail et mon expérience du monde au néant.

En lisant votre livre nous pouvons constater un épuisement de votre part, le monde vous ennuie-t-il ? Êtes-vous lassée ?

Je suis parfois lassée, mais l’écriture demeure un geste actif. Tant qu’il y aura ce moteur, je resterai invaincue face au désespoir.

Je suis en quête. Je cherche certainement une réponse ou une question. Mais surtout je voudrais trouver et offrir du réconfort. Je parle au je dans le recueil, je parle de moi, mais je parle aussi des autres. Je dis je, mais je dis tu-nous-vous. Je ne crois pas l’idée de la souffrance unique. J’ai la conviction qu’en étant au plus près de mon expérience, je peux trouver une part d’universel.

C’est là que la vraie magie de la littérature se situe. Dans la rencontre de l’altérité.

← Retour