La Petite plage
Marie-Hélène Prouteau, La Part commune, 2015
On commence par la citation d’Erri De Luca en exergue :
« […] il s’agit de l’autobiographie du lieu et les personnes sont des figurants. »
…et puis on plonge.
Voir au loin, vers la mer de la Terre, et puis vers la Terre quand on a les pieds dans l’eau, c’est un fil pour Marie-Hélène Prouteau. Un fil de vie. C’est un fil qui la lie aux auteurs, aux artistes de bords de mer, qui la renvoie à l’actualité et aussi au passé. Une corde qui l’amarre au monde et qui l’invite à s’en échapper à la fois. C’est la même image, la même immensité sans limites, aussi souvent calme que déchainée, que photographient mille yeux au cours de mille époques différentes. C’est le fil de toutes les dimensions possibles.
Cette petite plage est le cœur du livre publié aux éditions de la Part commune – maison d’édition rennaise – mais c’est aussi et surtout une personne universelle à qui se confier, se confier en silence.
« [La petite plage] elle m’est un contrepoint lumineux quand je songe qu’il pèse en ce moment sur le monde une atmosphère d’opéra en feu. »
Si Marie-Hélène Prouteau, tout au long des vingt-six fragments qui composent le livre, s’éloigne parfois du cours d’eau, sa voix, elle, a définitivement les deux pieds dans l’eau.
Anna Fichet, médiatrice de la bibliothèque de la Maison de la Poésie de Nantes. Juin 2016
Trois questions à Marie-Hélène Prouteau
De la Loire aux plages du Finistère, l’eau est toujours très présente dans votre travail. Est-elle à la base de votre démarche d’écriture ?
Oui, l’eau est première pour moi, avec son flux, son rythme de marées, ses rêves liquides tournés vers l’ailleurs. Entre Brest, ma ville natale et Nantes où je vis depuis fort longtemps, l’eau trace ce que j’appelle dans le livre La Petite plage « ma diagonale océane ».
Lieu d’émerveillement dans « cette clairière des métamorphoses » qu’est pour moi cette petite plage familière. Espace de contemplation et aussi de méditation : l’eau, l’élément liquide, fixe chez moi la situation d’écriture.
Le flux de marée en bord de mer ou sur les quais de Loire, c’est mon paysage mental.
Il y a là une rumeur naturelle où, dans le tout-venant des sensations, le monde alentours se voit, s’écoute, se sent dans le vent, les embruns. Des fragments de ce livre comme « La mangeuse de vent », « Le rire de la mer » (emprunt à Mario Luzi) sollicitent l’œil, le corps, aussi bien que l’âme de la promeneuse d’océan que je suis.
Quelque chose s’est fibré au plus profond qui enclenche les marées de l’imaginaire. Ainsi que le flux des souvenirs, la part d’enfance qui remonte. Mais aussi l’attrait du large, de l’ouvert, de ce qui trame l’humanité d’autres hommes dans les lointains. Souvent de façon dramatique, je pense aux réfugiés dans ce fragment intitulé « Lampedusa », qui porte une réflexion sur l’Histoire – au Moyen-Âge, en ce grand prieuré évoqué là, les moines disposaient du « droit d’asile » si mis à mal aujourd’hui.
Votre plume semble être entourée de nombreux artistes, écrivains, un peu comme des mentors penchés sur vos épaules lorsque vous écrivez. Vous en citez dans vos textes. Quels sont ceux qui vous transportent le plus ? Desquels vous sentez-vous la plus proche ?
François Cheng, Pascal Quignard, Jeanne Benameur, Franck Venaille, Erri de Luca, Philippe Jaccottet, Anna Akhmatova sont des écrivains et poètes que je relis beaucoup. Ils m’apportent le regard décalé avec lequel je suis en résonance.
Souvent, chez ces écrivains, se mêlent le sentiment de la nature et une méditation sur la fragilité de vivre, sur l’Histoire, le silence, l’intemporel. Comme cette « stèle du chemin de l’âme » qui renvoie à Victor Segalen, à ses voyages en Chine.
On écrit à travers ce qu’on lit. Nous sommes traversés de voix multiples qui nourrissent notre propre sensibilité.
Les mots d’ordre de votre maison d’édition, La Part commune, sont l’universalité de l’écrit et l’éternité qui y habite. Pourriez-vous nous dire comment votre travail éclaire ces mots d’ordre ?
Son fondateur Yves Landrein, lui-même poète, malheureusement décédé, a voulu une maison de littérature ouverte, à des écrivains et poètes d’horizons et de cultures différentes, Rilke, Khalil Gibran, Vera Feyder, Georges Perros, Guillevic, Seamus Heaney, Gilles Plazy, Pierre Tanguy…
Quand, dans mon livre, j’évoque au détour d’une page Gauguin, le poète Tomas Transtömer, Georges de La Tour, la poète Ingeborg Bachmann, je me situe dans l’esprit de cette maison d’édition.
Autre façon de dire aussi que cette « petite » plage n’est pas si petite, qu’elle concentre un monde vaste où passent aussi bien Gauguin et Hokusaï, ma grand-mère dans Brest en guerre, des femmes afghanes en résistance, le poète Victor Segalen, les réfugiés de Lampedusa.
« Demeurer, c’est habiter un lieu et un temps. Un temps qui n’est pas uniquement le présent. Un lieu qui n’est pas uniquement un espace », cette réflexion que j’ai placée à la fin de La Petite plage est au cœur de mon écriture.