Pardon my french
Frédérick Houdaer, Les Carnets du Dessert de Lune, 2016
Pardon my French, que l’on pourrait traduire par l’expression « excusez mon langage », reflète l’ironie et le cynisme qui frappe l’œil du lecteur tout au long du livre de Frédérick Houdaer. Inspiré par la Beat Generation, son œuvre ne manque pas de vivacité, de rythme, de soubresauts et de surprises, que l’auteur sait habilement amener par des chutes qui vont parfois jusqu’au grotesque, et subtilement doser par le choix des titres de ses poèmes, qui amènent de parfaits contrepoints au style très cru qui le définit.
Dans ce livre, Frédérick Houdaer joue au metteur en scène en invoquant des saynètes de la vie quotidienne et en partageant des anecdotes qui nous semblent ou très familières ou quelque peu étranges. Seule particularité à cette mise en scène : il en est le principal acteur ! Les lieux sont aussi variés que la vie peut être riche d’absurdité ou de comique, allant d’une terrasse de café à un stade, passant par un car, un ferry ou bien un train, sans oublier de traverser la rue et de se retrouver dans un appartement, une cuisine, un festival de poésie, au cœur d’un marché ou encore dans de nombreux bars.
Frédérick Houdaer prétend ne pas pratiquer la langue de bois ; il se met donc à nu devant nous dans son quotidien, et revête pour notre plaisir plusieurs costumes : celui du père de famille, de l’amant, du poète, du manifestant, d’un passant, et même quelques fois celui de Frédérick Houdaer ! L’auteur y convie des thèmes chers au roman noir – son terreau – , comme l’humour et l’érotisme, en y ajoutant une attitude provocatrice qui n’épargne personne : ni ses contemporain(e)s, ni ses connaissances, ni même les autres écrivain(e)s et poètes !
Alice Raimbault, médiatrice de la bibliothèque de la Maison de la Poésie de Nantes. Novembre 2016.
TROIS QUESTIONS À FRÉDÉRICK HOUDAER :
Jean-Pascal Dubost décrit votre poésie comme « populaire », empruntant des saynètes de la vie quotidienne. Selon vous, tout est-il matière à écrire de la poésie ?
Tout en italiques et sans italiques. Je l’ai compris adolescent en découvrant qu’Henry Miller pouvait tout aussi bien écrire sur les frais de postage des manuscrits que… sur la longueur de son prépuce ! Du côté « poésie », Brautigan et Bukowski ont fini de m’affranchir. Pas d’autres critères que celui-là pour reconnaître les artistes qui nous sont précieux : ils nous « permettent de… », ils nous « autorisent à… ». Le mouvement peut être lent, mais il est irréversible.
Votre style est influencé par le mouvement Beat generation ; peut-on parler chez vous d’une sorte de désacralisation de la poésie « politiquement correcte » ?
Pas seulement la Beat Generation. La littérature nord-américaine depuis ses origines (Whitman, etc.). La Beat Generation ? Il y aurait beaucoup de choses à dire à son sujet, sur sa réception en France, etc. Sur certains de ses auteurs surestimés (Burroughs), d’autres sous-estimés (Ferlinghetti prix Nobel de Littérature ? Cela aurait eu du sens à mes yeux). Pour autant, pas question pour moi de jouer au « poète américain ». Ce serait ridicule. Hier, j’ai écrit un poème sur une personne âgée trichant au Scrabble… à Beauvais ! Le « politiquement correct », comme tout ce qui pourrait être systématique, est contraire à toute forme de poésie. À chacun d’explorer ses angles morts. « Désacraliser » la poésie ? En tout cas, la rapprocher de nous, la mettre au milieu de la rue (sur mon bureau, cette photo datant des années 60 montrant Allen Ginsberg et Ezra Pound, côte à côte, assis sur la bordure d’un trottoir). J’évoque la littérature nord-américaine que je dévore depuis plus d’une trentaine d’années (j’ai 47 ans). Je n’ai découvert la littérature (et la poésie) sud-américaine que vers mon quarantième anniversaire. Vu la richesse de ce que j’y découvre, j’ai intérêt à vivre très très vieux si je veux profiter du dixième de ses trésors.
Pourquoi et comment passer de l’écriture du polar à celle de la poésie ?
Pour gagner beaucoup plus d’argent. 🙂