Les paysages avalent presque tout / Maxime Actis
Maxime Actis, Flammarion, 2020
Les paysages avalent presque tout dévoile des morceaux épars de souvenirs, des bribes de rencontres, des ramifications d’aventures. Emmenés dans des épopées vagabondes, nous nous baladons dans une ambiance libertaire à l’allure d’un road-movie. Avec le livre de Maxime Actis, paru aux éditions Flammarion, nous parcourons des kilomètres, des bouts de villes, des étendues baignées de lumière. Néanmoins, ce ne sont pas des paysages pittoresques de cartes postales que nous arpentons, mais plutôt des paysages délaissés, ceux vers lesquels les regards ne se tournent pas : des parkings vides, des zones industrielles, des gares abandonnées…
À chaque poème, le décor est planté. Par bribes, nous passons par «des instants de presque rien» à des scènes quasiment cinématographiques. L’écriture de Maxime Actis a une force de projection : elle nous fait pénétrer dans des atmosphères subtiles, où chaque détail, aussi discret soit-il, renforce la précision du décor. Les ambiances, les lumières, même la matière des objets nous frappent de vérité.
On entre dans les moments du quotidien. On parcourt avec le narrateur sa vie de fortune, avec ces instants simples, parfois au summum de la banalité. On se prête alors à contempler les mouvements d’un sac plastique abandonné, shooter dans une boite de conserve vide, écraser des bocks de bière et attendre infiniment à une station essence, dans un vrombissement nocturne et tranquille.
Loin du tourisme cossu et feutré, c’est un mode de vie marginalisé qui apparait, et fait l’une des grandes forces de ce livre. En effet, Maxime Actis ne tombe pas dans une esthétisation d’une vie de bohème, mais plutôt dans une narration sincère de ce que peuvent être certains moments de vie. De cette vie précaire, de la débrouille, en sort une posture assumée qui interpelle nos pratiques sédentarisées. Des habitats de fortune aux périphéries délaissées, l’auteur explore la profondeur de la vie à travers une existence nomade dont se dégage une véritable manière d’exister, avec ce que cela implique d’incertitude et de précarité.
Ces poèmes, que l’on pourrait imaginer griffonnés sur un carnet de voyage à côté d’esquisses raturées et de quelques taches, adoptent un format court et aéré. On y trouve une écriture simple, franche, sans détour, qui n’hésite pas à s’affranchir de toute syntaxe ou de style pour aller à l’essentiel. Il faut alors parfois accepter de se perdre, pour capter l’intensité des émotions qui traversent ses souvenirs de vie morcelée. Son écriture lapidaire, nous emmène pourtant vers une réflexion profonde, qui questionne le rapport au temps et aux espaces.Toujours ponctué d’expériences au monde extérieur, un voyage intérieur se dessine également. Ces deux voyages, l’un rempli de souvenirs de famille, et l’autre de grands espaces, dialoguent et s’emmêlent l’un à l’autre. Le narrateur, par son écriture elliptique brouille les pistes. On distingue alors le portrait d’une figure maternelle qui perd la mémoire. Ses souvenirs «s’en vont», quand le narrateur, lui, rafistole les siens.
Lisa Fouché, médiatrice de la bibliothèque de la Maison de la Poésie de Nantes
TROIS QUESTIONS À MAXIME ACTIS
Les paysages avalent presque tout, est écrit à la manière d’un cahier de voyage, il est constitué d’itinéraires, d’heures et de dates. Avez-vous conçu cet ouvrage comme un inventaire de moments, construit au fil de l’eau ? Pouvez-vous nous préciser votre démarche pour l’écriture de ce livre ?
J’ai construit le livre autour de la reprise de carnets de route et de cartes qui ont accompagnés certaines errances en Europe de l’est et en France, entre 2008 et 2017. Très tôt après ces voyages, perdre le fil de ce qui avait été si étrange, si dense, si merveilleux quelques fois, m’a été insupportable. J’ai donc essayé de démêler ce qui devenait un tas de nœuds. Grâce à cela, le chaos a retrouvé une certaine lisibilité. Des détails et des situations répétées font tenir l’ensemble des poèmes, cousus avec ce vers assez long qui déborde, toujours en passe de s’essouffler. Le reste du texte est composé de notes de journal de bord un peu brutes.
Les personnages sont évoqués par touches ; ils sont tous décrits très succinctement. Pouvez- vous nous en dire un peu plus sur ce rapport lointain, presque fantomatique aux personnages ?
Ce ne sont pas des personnages, ce sont effectivement des fantômes. C’est comme ça que ça a été écrit et certain·e·s l’étaient bel et bien. D’autres non. En voulant raconter sans profondeur ces récits, en me plaçant comme à la surface des choses, les êtres sont parfois devenus des âmes errantes. C’est un texte un peu hanté.
L’errance, plutôt que le voyage, est racontée à travers des moments ordinaires, des scènes de vie banales, vécus dans une précarité assumée. Faut-il y entendre une critique de notre société d’hyperconsommation et une célébration d’une autre façon d’être au monde ?
J’ai décrit les détails les plus pragmatiques de ces voyages parce que c’était des préoccupations importantes au moment où ils avaient lieu. Du coup, j’espère ne rien avoir célébré de particulier dans ces poèmes. C’était simple alors j’ai essayé de faire simple et pourtant, à la fin, c’est toujours plus compliqué. Alors une autre façon d’être au monde, c’est vraiment très compliqué ! Ce que je sais c’est que j’ai été attiré par l’extérieur des choses et des événements, les périphéries et non le centre. Peut-être qu’une certaine vitalité, assez troublante, y surgissait plus facilement. Par contre, ce que je peux dire, c’est que regarder les choses pour ce qu’elles sont a été une sorte de démarche spirituelle de bas-étage.