Expérience du rêve
Anna Glazova, Joca Seria, 2015
Expérience du rêve est le quatrième recueil que publie Anna Glazova, poète russe vivant en Allemagne. Le titre, en unissant le réel à l’imaginaire, nous introduit de plain pied dans son univers, fait de contradictions et d’oppositions. Dans la poésie d’Anna Glazova, les extrêmes irrésistiblement s’attirent. L’immensité démesurée de la nature fait écho au sentiment le plus intime. La neige est baignée de lumière, l’oubli est une condition de vie, l’écriture est « saisie saisissante ». Car tout est complémentaire – notre respiration rejoint l’expiration des arbres, la mort donne sens à la vie, le quotidien est à la source de toute fiction.
La construction du recueil, qui chemine du « sentiment » aux « nouvelles pousses » autour de cinq sections, rappelle l’exigence de l’architecture, discipline longuement étudiée par Anna Glazova. Les vers brefs, cassants, subissent un travail de déconstruction, dessinant par à-coups un paysage intérieur d’une incertaine précision. Le rêve et les sens y occupent une place centrale, dépassés par la prédominance du regard – de sa justesse, de sa prescience. Telle un « flux et reflux », la poésie d’Anna Glazova est donc une poésie qui respire, forte en images et en sonorités.
Camille Cloarec, médiatrice de la bibliothèque de la Maison de la Poésie de Nantes. Septembre 2015.
Trois questions à Anna Glazova : (Traduction du russe vers le français : Julia Holter)
Pouvez-vous nous parler de certaines influences (littéraires, ou autres, par exemple architecturales) qui inspireraient votre écriture ?
Je pense que, plus que toute autre chose, j’ai été influencée par les études que j’ai pu faire de la littérature et de la philosophie allemandes, et particulièrement par leur étroite connexion. Pour cette raison, m’a été importante la lecture de Paul Celan et de Friedrich Hölderlin, qui tous deux lient l’expression poétique et la pensée philosophique. J’ai aussi été marquée par des auteurs venus d’autres espaces linguistiques (pour moi accessibles) mais animés par la même pulsion : Emily Dickinson, Fiodor Tioutchev, Samuel Beckett. En ce qui concerne d’autres arts, je me sens très redevable à la peinture, mais je ne sais pas si l’on peut parler de l’influence directe ; la peinture est pour moi le type d’art qui porte en lui, de la façon la plus vive, la sensation du temps. Sous cet angle, dans mes poèmes, on pourrait trouver trace de l’influence de la peinture.
Dans quelle mesure votre travail de traduction, et votre rapport à la langue allemande, s’inscrivent-ils dans votre écriture ?
L’allemand est ma langue préférée. Il n’y a pas d’emprunts directs faits à l’allemand dans mes poèmes, mais j’ai appris et continue d’apprendre, chez les auteurs allemands, une certaine forme de logique et certains moyens d’expression.
Vous vivez depuis de nombreuses années en Allemagne ; vous avez une connaissance parfaite de sa langue. Pourquoi avez-vous, et continuez-vous de faire le choix d’écrire en russe ?
J’ai fait l’expérience de traduire moi-même mes poèmes en allemand : j’ai voulu qu’ils puissent être lus par une personne qui ne connaîtrait pas le russe. De ce processus de traduction, je ne retire nulle réaction du rejet, mais je n’arrive pas à écrire de la poésie directement en allemand. Je pressens de ne pouvoir, en allemand, aller jusqu’au fond de ce qu’il est nécessaire de dire.