Marlène Tissot

Marlene Tissot ©Phil Journe

Samedi 22 avril,
Les premiers martinets arrivent. Ceux-là éclaireurs. Soleil et sur la table les livres de Marlène Tissot qui a publié une dizaine de titres en poésie, un roman et une nouvelle en six ans, depuis 2010. Les poètes sont-ils des éclaireurs ? Marlène Tissot sourirait d’une telle question sans doute. Elle qui s’interroge sans cesse sur les petites et grandes choses de l’existence, transformant en creux les points en points d’interrogation.

Dimanche 23 avril,
Lecture de J’emmerde (Mi(ni)crobe, 2014). De savoureux aphorismes où Marlène Tissot liste qu’elle emmerde les belles paroles, les certitudes, la déprime, la perfection, les courbes de croissance, le conformisme, les sens uniques, le taux d’échec, la réussite sociale… On sourit. Jaune souvent. La poète a l’art de décocher les mots comme des flèches, de dénicher la poussière de sous les tapis, de délivrer quelques petites vérités. De l’inconvénient d’être né de Cioran devient De cette incompréhension d’être une adulte de Tissot. Un malentendu entre soi et soi, le monde et soi. « On ne s’éloigne jamais / de soi / autant qu’on le voudrait », dans « J’emmerde les distances de sécurité ».

Lundi 24 avril,
« Le lundi on crève / et les jours suivants aussi : comme une bulle fragile / sous le dard des obligations / professionnelles familiales sociales amicales / on crève / et puis le dimanche on ment » (Histoires (presque) vraies, Le Pédalo Ivre, 2015). Le temps. La poète semble toujours revenir à l’enfance. Qui aurait disparu trop tôt. Dans son roman Mailles à l’envers (Lunatique, 2012), elle se joue du temps narratif pour écrire une enfance et une adolescence blessées, où elle fait dire à son personnage « Je ne voulais pas grandir ».
Ce jeu avec les temps n’est pas qu’astuce d’auteure. Elle cherche à reconstruire,à définir des contours pour se fixer, mais tout s’échappe à la fin. Ce qui sous-tend peut-être tout son travail d’écriture et qui lui confère cette forme de désenchantement.

Mardi 25 avril,
De remarquer que Marlène Tissot n’est pas de ces poètes qui font de la langue un objet de poésie. Chez elle, il y a une forme d’urgence à écrire. « Mais je ne sais pas parler alors j’écris ».
Des petits bouts, des fragments, des morceaux de journal (comme ce Journal aléatoire sur son blog « Mon nuage », riche, généreux, textes longs, textes courts, textes récurrents comme L’humeur du dimanche, et la suite des J’emmerde), de la poésie au roman, du blog à des revues (Freak wave, Nouveaux Dé- lits, Traction Brabant, Microbe, L’Angoisse), ou encore des fanzines dont celui qu’elle créa. La langue est travaillée pour être juste : « polir la langue à coups de caresses rugueuses ». Elle se nourrit de l’ordinaire, du réel, de la banalité du quotidien pas si banal que ça, à condition de le transformer.

Mercredi 26 avril,
À cette même date, dans son Journal aléatoire où Marlène Tissot rend compte de sa résidence d’auteure à Laval, là où elle obtint le prix du Premier Roman pour Mailles à l’envers, là où elle écrit son deuxième roman, à cette 66e date, donc, elle a noté « à venir ». Texte absent, à venir… Un 26 avril qui viendrait après le 26 avril…
« J’ai rendez-vous mais je n’y vais pas / je dirai que j’ai raté le train / que la gare était en avance / que les rails n’étaient plus parallèles / que la mer avait disparu autour de mon île ».

Sophie G. Lucas, 2017

 

Extrait de la lecture de Marlène Tissot, le 4 mai 2017 au lieu unique :

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